• L'EMPIRE

    D'HÉLÉNA

    Héléna, très stratégique et excessivement mégalomane, a décidé de s'installer à Manhattan pour diverses raisons. Ce comté de la ville de New-York est construit sur une île ; il est entouré par des fleuves et des bras de mer. Le fait que cette ville soit cerné d’eau donne la sensation à la fée de vivre dans un château fort, comme les rois de l'ancien temps. D’ailleurs pour parachever cette effet, et bien marquer son territoire, elle a fait installer des ponts levis sur les routes qui desservent cette citée ; et pour ne pas éveiller les soupçons de la population, elle y a placé des gardes qui simulent un certain folklore. Ils sont habillés de noir et de blanc dans de magnifiques costumes cousus de fils dorés, et portent un chapeau haut de forme, sur lesquels sont représentés la Terre entourée de deux lions. Les gardes ont grand panache et font l'admiration de tous, donnant un air de fête à cette extravagance. Cela rappelle aux visiteurs et aux autochtones le palais de Buckingham à Londres et sa fameuse garde qui fait tant sourire les touristes par leur impassibilité. Mais à la nuit tombée les ponts se lèvent empêchant l'accès à Manhattan et seuls les laisser passer peuvent espérer y pénétrer. Il est tout autant impossible d'accéder par la voie des airs, car tous objets volants non autorisés se désintègrent instantanément. Personne ne pense à contester ces mesures, car c'est pour la sécurité du pays a annoncé la fée ; et nul ne souhaite voir se reproduire des événements tels que les attentats qui ont fait des milliers de morts ces deux dernières années.

    Manhattan est le cœur économique et financier de la ville bâti autour de Wall Street. Et justement « économie », « finance », sont deux mots qui offrent à Héléna une véritable source de plaisir. Elle sait que par ce biais elle asservira de plus en plus les humains, s'assurant ainsi une victoire triomphante sur le clan de la lumière. Mais elle n’a pas jeté son dévolu sur n’importe quel endroit de ce comté. C’est dans le quartier d’affaires de Midtown, où se trouve la zone commerciale la plus active des États-Unis, qu’elle a choisi de vivre. Chaque jour plus de trois millions de personnes se rendent dans ce lieu, et elle peut voir les effets immédiats de ces actions ; pour le cas échéant mettre en place de nouvelles stratégies afin d'asseoir encore plus son pouvoir. Ainsi, Héléna prend peu à peu le monopole de tous les commerces, dont le fameux complexe commercial « Rockefeller Center ». Elle veut tout posséder afin que les humains voient à quel point elle est influente.

    Dans ce quartier il y a aussi l’Empire State Building, le plus haut gratte-ciel de New-York, mesurant quatre cent quarante-huit mètres. C'est exactement à cet endroit qu'Héléna habite, au cent-deuxième et dernier étage.

    La fée apprécie particulièrement un des halls de L’empire State Building, qui abrite sept tableaux réalisés par Roy Sparkia et son épouse. Tableaux qui représentent les sept merveilles du monde. À l'origine il y avait un huitième tableau qui représentait le gratte-ciel. Mais Héléna avec sa folie des grandeurs a décidé de le remplacer par une œuvre qui l'a représente. Elle a exigé une peinture d'elle, réalisée en haut de la tour près de l'antenne. Elle se voyait cheveux au vent entourée de lions de feu, la main sur la tête de l’un d’eux. À ses pieds, elle voulait une représentation de l’univers, pour bien montrer sa toute puissance. C’est dire la grandeur de sa mégalomanie.

    Pour faire réaliser ce tableau Héléna a fait appel à un peintre célèbre : Picasso. Pas simple quand ce fameux artiste n’est plus de ce monde. Mais pour Héléna rien n’est insurmontable. Elle a décidé que ce sera lui, pas un autre qui l'immortaliserait. Souveraine capricieuse et intransigeante elle ne tolère aucune résistance à ses désirs. Aussi a-t-elle envoyé ses meilleurs biologistes en France, là où Picasso est enterré avec sa dernière épouse.

     

    * Vincent *

     

    Le couple repose dans le parc du château de Vauvenargues, leur demeure familiale. Ce qui tout de même a simplifié les choses. Point besoin de se rendre dans un cimetière public. Les biologistes ont donc filé directement sur la tombe de Picasso et vêtus de combinaisons de protection afin de ne pas contaminer l'échantillon, ils l’ont exhumé discrètement. Puis avec délicatesse, ils ont prélevé un morceau de ses ossements. Un des biologistes a vérifié que l'ADN soit encore intact puis a rangé ce précieux « trésor » dans un tube à essai qu’il a placé dans un petit coffre-fort portatif. L'un d'entre eux qui voue une grande admiration pour l’artiste qu’était Picasso, a surveillé les opérations de près afin que les lieux soient laissés tels qu’ils étaient à leur arrivée.

    De retour aux États-Unis les biologistes ont gagné directement leur laboratoire ; et là, ils ont redonné vie à Picasso puis l’ont emmené chez Héléna pour qu’il réalise l’œuvre. Picasso pas plus étonné que ça d'être revenu à la vie, lui a répondu avec verve aux exigences de la fée.

    « C'est bien aimable à vous chère Madame, de me ressusciter pour me solliciter ainsi. Pourtant je ne puis honorer votre attente. Vous savez, si vous vous êtes bien documentée sur moi que je suis avant tout co-créateur du cubisme. De ce fait je préfère le surréalisme au figuratif, a-t-il dit grandiloquent.

    - Monsieur Picasso si vous réalisez ce tableau je vous promets une longue vie où vous aurez toutes occasions de créer autant que vous le souhaiterez. Je vous mettrai à disposition une propriété à la campagne avec tout ce dont vous aurez besoin pour cela. Dans le cas contraire je vous renverrai d'où vous venez. Mais avant je vous servirai quelques tortures de mes spécialités qui vous ferons regretter amèrement votre refus, a répondu la fée mordante.

    - Votre proposition est alléchante et généreuse pour l'artiste que je suis. De plus je n'ai pas trop le choix, peindre votre toile et vivre, ou subir quelques sévices puis retourner six pieds sous terre. Je constate que vous êtes tenace en affaire. Je ne puis que répondre par l'affirmative à votre offre, a consentit Picasso tout autant grandiose.

    - Bien en ce cas mettons-nous au travail dès maintenant. Les lions attendent déjà en haut de la tour. » a ordonné Héléna sur un ton qui ne permettait aucune discussion.

    Au sommet de l'Empire State Building Picasso a découvert une immense toile posée près de l'antenne, ainsi que le matériel nécessaire à la réalisation de l'œuvre. Il s’est attelé sans plus attendre à sa tâche. Héléna qui était impatiente l’a doté de quelques pouvoirs qui ont permit à l’artiste de terminer le tableau en quelques heures. C’est ainsi que cette toile a remplacé le huitième tableau peint par le couple Sparkia. Héléna ne s’est pas arrêté pas là dans sa folie des grandeurs. Elle a fait deux autres modifications dans le quartier de Manhattan.

    La première a concerné le fameux gratte-ciel « One World Trade Center » dont l'édification s'est terminée en 2013 et qui a remplacé les tours jumelles. Elle n’a pas fait dans la demi-mesure et plutôt que de se contenter de faire enlever l'antenne de cette tour, elle a ordonné sa démolition pure et simple. En effet, ce gratte-ciel lui faisait de l'ombre car il était plus haut que l’Empire State Building ; et il est hors de question qu'un bâtiment soit plus haut que celui qu'elle occupe dans ce comté. Héléna veut tout dominer, à commencer par occuper la position la plus culminante des environs et pas question non plus de déménager tous les trois quatre matin. Elle n’est pas à quelques démolitions de tours près.

    Pour ce qui concerne la deuxième modification, Héléna, poursuivant son installation princière, a encore sollicité Picasso pour réaliser une sculpture qui la représente toujours cheveux au vent en compagnie d'un des lions. Une de ses mains posée sur la tête du fauve, tandis que dans l'autre elle tient l'univers. Puis elle a fait enlever la statue de la Liberté qui se trouve sur l’île « Liberty Island » au Sud-Ouest de Manhattan pour la remplacer par sa statue. Elle en a profité pour renommer l’île, l'appelant tout simplement « Héléna ». Très fière du résultat, elle a inauguré sa statue conviant la presse mondiale et la population locale à de grandes festivités. Elle a offert une somptueuse fête où chacun pouvait faire abondance. Le résultat a été à la hauteur de ses espérances : appréciée devant cette générosité sans limites le suffrage a été quasi unanime et le remplacement de la statut de la liberté par la sienne est passé pour un symbole de renouveau aux yeux de tous. Diffusé dans les plus grands journaux l’événement a fait le tour des continents.

     

    * Alanoa *

     

     Petit à petit la fée a déployé ses tentacules, prenant possession de tout. Génard qui continue d'observer sa proie voit ses désirs assouvis.

    Héléna joue ingénieusement sur plusieurs tableaux : elle est partout à la fois afin de créer un climat d'insécurité tout en jouant le rôle de la candidate parfaite pour stopper ce déluge de violence qui s'abat sur la Terre ; sa duplicité est sans égal. L'enjeu est important : que les humains croient sans condition qu'elle est de leur côté, qu'elle agit pour leur bien, que son objectif est de leur rendre leur dignité.

    Généreusement, elle met au service du peuple et du gouvernement sa propre milice pour mettre un terme aux attentats qui se propagent de par le monde ; ces même actes terroristes qu’elle créés de toute pièce !

    C'est lors d'une grande œuvre caritative, rondement diffusée sur les médias, au profit des familles des victimes, et en compagnie d'Obama qu'elle présente ses hommes de main : Les carvésoniens. Ils sont pour l'occasion habillés de jeans moulant qui mettent en valeur leur musculature et de tee-shirt manche longue qui épousent tout autant les formes de leur corps. Les carvésoniens sont trapus et aucun ne dépasse le mètre soixante-quinze, les plus petits d'entre eux mesurent un mètre soixante ; leur cheveux noirs coupés en brosse et leurs yeux tout aussi noirs dépourvus d’iris les distinguent d'un quidam qui aurait la même morphologie.

     

    À l'origine, les carvésoniens ne sont pas des êtres engendrés par les voies naturelles. Ils sont issus de nombreuses manipulations génétiques et les premiers sont tous nés en laboratoire, il y a quelques centaines d'années. Leur créateur, une fois satisfait du résultat a introduit un spécimen féminin capable de reproduire exactement les caractéristiques de cette espèce qu’il avait créé.

    L’organisation des carvésoniens est similaire à celle des abeilles dans une ruche. La reine, qui fait le double de la taille des mâles : près de trois mètres pour deux-cent kilos ; enfante jusqu'à dix enfants par portée. Elle choisis toujours le mâle le plus robuste pour l'ensemencer. Elle peut vivre jusqu'à deux-cent ans et quand sa fin est proche elle met au monde une fille. Lorsque cette dernière est capable à son tour de procréer, sa génitrice meurt. Les mâles, eux, ont une espérance de vie de trente-cinq ans maximum et atteignent l'âge adulte à huit ans. Les carvésoniens vivent sous terre et ils défendent non pas leur territoire mais la survie de leur espèce. Autant dire qu'ils sont extrêmement vigilants et ont développés bien des pouvoirs afin de protéger leur seule et unique reine. Éprouvent-ils des émotions ? Il semble que non. Élevés exclusivement dans un monde masculin, ils apprennent très vite l'art du combat et ne connaissent absolument pas ce qu'est l'amour.

     

    Les carvésoniens lors de cette présentation sont tous alignés, les jambes légèrement écartées, les pieds bien cramponnés au sol, les bras croisés ; avec un regard qui en dit long sur leur intention de ramener la tranquillité sur Terre. L'image qu'ils renvoient, curieusement, rassure les Hommes qui ne souhaitent qu'une chose : la fin de ce climat de peur généré par les attentats et les guerres.

    Héléna vient se poster devant eux et à l'attention des spectateurs attentifs, Obama à ces côtés elle fait son annonce.

    « Mesdames et Messieurs, j'ai l'immense honneur de vous présenter ma garde personnelle, que je mets au service de notre pays afin de vous protéger. Seule une partie de mes troupes est présente, aussi ne vous étonnez pas lorsqu'ils se déploieront dans les villes, car ils sont très nombreux, dit-elle mégalomane. Monsieur le Président m'a sollicité et c'est avec grand plaisir que j'ai accepté de participé à l'éradication des violences dans notre beau pays, finit-elle un large sourire sur les lèvres.

    - Chers citoyens l'heure est grave, nous déplorons trop de victimes et notre armée n'est pas suffisante, tant il y a une recrudescence de terrorisme, explique Obama sentencieusement. Aussi je suis soulagé qu'Héléna ait accepté de nous aider. Je demande la coopération de chacun pour que la paix revienne dans nos contrées. Toute personne ne se soumettant pas aux mesures de contrôle en vigueur sera emprisonnée pour conspiration contre l'état, annonce-t-il fermement. Ensemble nous vaincrons », termine Obama en levant le poing au ciel en signe de victoire.

    Le discours se finalise sous un tonnerre d'applaudissement et aussitôt les carvésoniens se déploient pour œuvrer. S'ils font allégeance à Héléna c'est bien parce qu'elle détient le pouvoir de détruire leur reine et qu'ils n'ont aucun moyen de la contrer. Aussi sont-ils drastique dans leur méthode, car dépend de leur action leur survie. Télépathes par excellence, toute envie de rébellion est très vite canalisée. Ils peuvent réduire en miette quiconque se met sur le chemin d’Héléna sans ressentir la moindre culpabilité. Ils rôdent jour et nuit dans les villes et comme les attentats prennent fin rapidement, tout le monde trouve normal qu’ils restent omniprésent pour éviter des récidives de violences.

     

    Pendant que les carvésoniens agissent pour ramener la paix, Héléna sollicite les cyberniens. Ce sont des êtres qui ont la capacité de s’introduire dans les réseaux informatiques par le biais d’internet.

    Les cyberniens ne mesurent pas plus de cinquante centimètres. La chevelure hirsute, ils sont dotés de trois yeux, dont le troisième se trouve derrière la tête. Leur bouche est immense, leur nez identique à des naseaux de chevaux. Ils ne communiquent que par télépathie, alors s'ils ont un message à transmettre à quelqu’un qui est hermétique à ce mode de communication, ils passent par le biais des ordinateurs.

     

    Héléna fait donc entrer les cyberniens en masse dans les computer où ils peuvent envoyer des doses massives d’images subliminales, d’ultrasons pour conditionner les terriens aux ambitions de la fée. Les premières victimes sont bien sûr les enfants qui peu à peu entraînent leurs parents.

    Grâce aux agissements des cyberniens, de plus en plus de monde ovationne Héléna. Et comme elle sait bien manipuler l'opinion publique ; accentué par la propagande cybernétique ; elle parvient à ses fins, et c'est ainsi qu'elle remporte haut la main les élections présidentielle des États-Unis en cette année 2016. Son plus grand atout, lors de sa campagne, étant bien sûr d'avoir réussis le tour de force de faire taire les attentats dans son pays.

    Mais Héléna n'est pas tout à fait satisfaite, puisque son espérance est d'obtenir le suffrage mondial. Alors elle poursuit sans relâche son offensive.

    Bien déterminée à ce que rien ne vienne se mettre en travers de son chemin, elle mène en parallèle d'autres opérations tout autant insidieuses que les précédentes. Ainsi elle renforce l'action des cyberniens et propose les services de sa milice aux autres pays qui subissent de plus en plus d'attentats au nom de divers groupes extrémistes qui surgissent dont ne sait où. La duplicité d’Héléna n’a pas d’égale et du fait de ses interventions, celle qui s'insurge devant ces actes barbares voit sa célébrité gagner du terrain et les uns après les autres les pays votent pour elle. Après plusieurs mois de ce régime entre campagne publique, vie cybernétique et défense des citoyens, la toile se resserre sur les hommes ; de sorte qu'Héléna prend les commandes du monde entier. Ainsi elle constitue un gouvernement mondial et place des pérathonotes à la tête de chaque pays, pour la seconder.

     

    De nature très charismatique, les pérathonotes mesurent minimum un mètre quatre-vingt-quinze. Leurs points communs à tous, homme comme femme, sont leur chevelure châtain clair, leurs yeux marron bridés et leur teint légèrement hâlé. Ils font l’unanimité chez les êtres humains, qui se pâment devant eux tant ils ont une grande prestance. Héléna passe par eux pour transmettre chacune de ses décisions, ce qui renforce son ascendance. Par leur entremise, elle annonce la surveillance des réseaux sociaux, afin de contrecarrer d'éventuelles résurgences d'actes terroristes. Ainsi, sous le couvert de ce pseudo bouclier protectionniste, elle fait intervenir les cyberniens pour qu'ils contrôlent tous les échanges ; concevant des programmes informatiques, afin de prévenir toutes tentatives d'insurrection. Avec le conditionnement provoqué par l’utilisation du net, les Hommes sont coupés de la réalité et sont convaincus du bien-fondé des actions d'Héléna, d'autant que plus aucun trouble ne vient déranger leur quotidien.

     

    La paix est bien installée…

     

    Toujours par le biais des images subliminales et des ultrasons, les humains sont programmés tels des automates ; de sorte que leurs journées se trouvent être toutes les mêmes, ne différant que par les fonctions de chacun. L'addiction au net est totale, et dès le réveil chacun passe minium dix minutes à surfer sur les sites, ce qui permet aux cyberniens de perfectionner leur œuvre. Les actifs travaillent vingt-cinq heures par semaine sur trois ou six jours selon leurs désirs, et consacrent minimum dix heure hebdomadaire au recyclage des déchets et à la récupération de tout ce qui peut avoir une seconde vie. Les étudiants quant à eux, après le rituel internet, se dirigent vers la ville pour participer au nettoyage des diverses structures, rues, édifices... Certains aident au ménage, d’autres à l’élagage des arbres, d’autres encore œuvrent à repeindre les murs... De huit heures à dix heures du matin, ils s'activent pour le bien de la communauté. Ensuite ils se dirigent vers leur campus pour leur journée de cours. Ils peuvent en fin de journée travailler deux heures de plus dans la ville. Chaque étudiant reçoit entre quatre cents et huit cents dollars par mois, en fonction du temps consacré à la communauté. Les retraités aussi sont amenés à participer à l'économie du pays. Ils travaillent dans les crèches mises gratuitement à disposition des parents dans chaque entreprise. C'est la condition sine-qua-non pour qu'ils perçoivent leur retraite. Ceux d'entre eux qui souhaitent rester plus que le temps imparti sur la structure se voient attribuer une prime mensuelle supplémentaire.

     

    *

    Génard est assez perplexe quant aux actions de la femme-fée qui a amené la paix sur Terre, car tout cela ne participe pas du tout à ses attentes, contrairement à ce qu'elle faisait avant, en provoquant des troubles.

    « Je me demande si je n'ai pas fait une boulette en choisissant Héléna, dit-il à Laïssion circonspect. C'est complètement aberrant ce qu'elle fait. Je ne comprends pas ; s’énerve-t-il. Pourtant les yeux des crapauds m'ont bien dit qu'elle allait nous servir ! Quedal ! Je crois que je vais aller la descendre ; continue-t-il furibond. Cette imbécile est en train de nous rendre les humains heureux et ça va finir pas nous faire disparaître, dit-il mi dédaigneux - mi amer.

    - Tu ne devrais pas t'inquiéter comme cela, lui répond Laïssion sur un ton maternel. À quand remonte la fois où tu t'es trompé dans tes prédictions ? poursuit-elle confiante.

    - Jamais ! répond-il excédé.

    - Alors pourquoi te poser autant de questions, laisse faire, lui dit-elle rassurante.

    - Tu sais bien que le Grand-Tout a déjà interféré dans mes affaires. Imagine qu'il ait recommencé et qu'il m'ait dupé, s’inquiète-il, la mâchoire serrée, près à exploser tant il est de mauvaise humeur.

    - Quand il est intervenu ton grimoire, comme tes voyances t'ont tout révélé, non ? questionne Laïssion continuant à lui parler comme s’il s’agissait d’un enfant.

    - Non justement, tu sais bien que dans la grotte il m’a empêché de tout voir ! Et s’il recommençait ? dit-il accablé. J’aurais fait tout ça pour rien ? C’est une pure perte de temps, s’enrage-t-il.

    - Tu t’énerve pour rien, dit Laïssion d’un ton réconfortant. Même s’il t’a empêché de tout voir ça ne t’as pas empêché d’agir, je me trompe ou pas ? poursuit-elle énergiquement en se rapprochant de lui pour lui caresser les cheveux.

    - Oui j’ai pu agir, admet-il. Pourtant là, je ne vois pas en quoi ce qu'elle fait va nous faire prendre le pouvoir total sur le multivers, elle n'agit plus comme au début, dit-il comme un gosse capricieux, la bouche boudeuse.

    - Tu devrais refaire une voyance pour vérifier, au moins tu sauras à quoi t'en tenir, l’invite-elle en s’étonnant du comportement de Génard. Mais n'oublies pas que c'est une femme et que de ce fait elle fonctionne différemment, explique Laïssion confiante. Je serais toi, je ne me ferais pas de bile du tout.

    - Ouai, ben je vais regarder ça de plus près, parce que ce n'est pas de bon augure pour moi tout ça. » dit le démon pas convaincu du tout.

    Génard file chercher un crapaud dans sa réserve et lui arrache les yeux, qu'il dépose tout frais sur son parchemin en or fin, entouré de cristaux de roche purs, puis il récite sa formule magique d’une voix théâtrale :

    « Par les pouvoirs diaboliques qui me sont conférés moi chef des démons je demande que vérité soit énuméré sur Héléna. »

    Surgit des enfers, des hurlements effrayants sortent du parchemin et en lettres noires s'inscrit le prénom d’ Héléna. Alors Génard poursuit son rituel en jetant les yeux dans une marmite remplit de sang d'hermine et devant lui se déroule le film de l'avenir. Rassuré, le visage détendu, il se retourne vers Laïssion.

    « C'est vraiment étrange, mais tout se passe à la perfection, dit-il serein. D'ici maximum une quinzaine d’années nous allons voir notre pouvoir prendre de plus en plus d'ampleur, annonce-t-il sur un ton monocorde. Vous les femmes, vous êtes vraiment étrange, mais curieusement ça ira plus vite que si c'était moi qui avais agit, finit-il satisfait par sa vision.

    - Tu vois ce que je te disais, se vante-elle. Bon c'est vrai que là on s’ennuie un peu, c'est trop paisible ; poursuit-elle dédaigneuse. Mais je pressens des heures tellement sombres que nous allons faire opulence de noirceurs, conclut-elle ténébreuse.

    - J'ai peut-être trop sous-estimé vos capacités mesdames et cela me donne à réfléchir de me méfier plus de vous encore, convient Génard suspicieux. Ceci dit, je sais que je suis de loin le plus fort ; poursuit-il imbu de lui même ; mais je vais surveiller de plus près vos vices, termine-t-il menaçant le front plissé par le doute.

    - Pourquoi te méfier puisque de toute façon tu es plus machiavélique que quiconque ! » tente de le rassurer Laïssion déstabilisée par le comportement de Génard.

    Des gouttes de sueur coulent le long de son échine et la pâleur la gagne. Elle aurait mieux fait de se taire et le laisser se débrouiller tout seul, pense-t-elle pas tranquille du tout.

    Génard ne répond pas et se détourne d'elle. Discrètement il interroge son parchemin et lorsqu'il jette les yeux de crapaud dans la marmite de sang, ce qu'il voit lui déplaît fortement, mais au moins le voilà prévenu.

     

    *

    Héléna est satisfaite, ayant amené la paix sur l'ensemble de la planète, les humains sont totalement et inconditionnellement fous d'elle. De plus, ils ont de meilleurs revenus, ce qui leur permet de pourvoir à tous leurs besoins. Ainsi, la fée peut mieux détourner leur attention vers la course au matérialisme.

    Génard ne comprend pas trop cette obsession qu'a la fée de voir ses coffres forts s'emplir en monnaies sonnantes et trébuchantes. Il a envie d'en savoir plus, alors, mine de rien, il s'arrange pour participer à ses nombreuses soirées pour se rapprocher d'elle.

    Héléna est subjugué par cet homme au charisme exceptionnel ; si bien qu'elle le fait entrer dans son organisation. Lors d'un entretien où elle s'enquière de l'évolution de son portefeuille, le démon en profite pour lui poser quelques questions auxquelles, elle répond avec orgueil.

    « Tu vois Génard, comme je suis connectée en permanence à mes comptes via ce gadget créé par les cyberniens, je peux voir les flux d'argent entrer et sortir, explique-t-elle pleine de satisfaction.

    - Mais à quoi ça te sers ? demande-t-il septique en la contemplant avec curiosité.

    - C'est simple, j'ai donné un revenu honorable aux humains en échange d'une participation à l'économie de la planète. Avec cet argent qu'ils gagnent, ils peuvent consommer. Plus ils consomment, plus je remplis mes caisses, expose-t-elle fièrement en se pavanant devant lui. Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que leur besoin de consommation compulsive est dû au travail de mes chers cyberniens, dit-elle triomphale. C'est vrai qu'ils ne sont pas dotés d'un super physique ceux-là, mais leur cerveau compense de loin cette défaillance morphologique, termine-t-elle admirative en parlant des cyberniens.

    - Mais pourquoi cette consommation intempestive ? questionne Génard complètement à l’Ouest.

    - Cela n'a rien d'inopportun, car plus leur esprit est tourné vers le matériel, moins ils pensent à autre chose », dévoile-t-elle mystérieuse tout en posant les mains sur ses hanches et en jaugeant le démon comme si elle avait à faire à un élève récalcitrant. « Leurs agissements me permettent de voir l'effet des images subliminales et des ultrasons que nous envoyons via le net. Comme ça, si ça ne suffit pas je renforce le tout par des sorts, révèle-t-elle contente d’elle même. Tu n'as pas remarqué que les terriens ont le regard inexpressif quand ils rentrent dans une boutique ? questionne-t-elle étonnée. Ils ne s’interrogent pas sur ce besoin irrépressible d'aller faire des courses tous les jours à la même heure. Pour eux achat est devenu synonyme de survie et ils sont vraiment persuadés de combler leurs besoins fondamentaux, expose-t-elle mécaniquement. Et tu as vu, pour que le flot soit continue dans les magasins, on programme des horaires différents dans la tête des gens, ça c'est une idée des luzanotes, dit-elle avec fierté.

    - Mais je ne vois vraiment pas en quoi ça te donne du pouvoir, dit le démon complètement largué par les agissements de la fée.

    - Je teste Génard, je teste, répond Héléna tout en dodelinant de la tête avec un sourire pervers collé à ses lèvres.

    - Quoi donc ? Interroge-t-il, haussant les sourcils, de moins en moins convaincu.

    - Mon emprise sur l'espèce humaine. Tu ne vois donc pas que grâce à cela, les êtres du clan de la lumière ne peuvent pas réapparaître ? Tu es crétin ou quoi ? répond-elle en s'adressant à lui comme s'il s'agissait d'un gosse.

    - Ouai, tu es un peu prétentieuse, ce n’est pas en contrôlant la consommation que tu vas garder le pouvoir. Un jour, ils vont bien finir par comprendre qu'ils ne sont que des pantins à tes yeux. Et je ne suis pas convaincu qu'en agissant ainsi tu prendras le dessus sur les sbires du Grand Manitou ! lui lance t-il dédaigneux, sans même relever la façon dont elle lui parle.

    - Dis-donc tu te permets bien des choses toi ! Comment oses-tu ainsi me juger et critiquer ce que je fais ? »

    Héléna ne supporte pas qu'on la reprenne et son regard s'assombrit au fils de la conversation. Elle est limite à mettre Génard dehors tant il l'énerve avec ses remarques outrageantes. Pourtant, elle a bien envie de le moucher, alors elle poursuit ses explications.

    « Tiens viens voir là sur les écrans télé », dit-elle en invitant Génard à la rejoindre devant ses écrans où elle surveille de près l'activité humaine. Le démon s'approche septique et l'écoute donner ses explications. « Regarde, j'ai mis à la tête de chaque enseigne des luzanotes et impossible de les repérer tant ils ressemblent à monsieur tout le monde, de sorte qu'ils peuvent se fondre dans la foule et agir à leur guise sans éveiller les soupçons.

    - Ils font quoi là ? demande-t-il moqueur.

    - C'est simple ils accueillent les humains dès leur entrée dans les magasins et ils les assomment de sorts pour mieux les orienter dans leurs achats, expose la fée tranquillement sans relever le ton taquin du démon. Ah c'est notre jour de chance tu vas comprendre, dit-elle tout excitée par ce qui est entrain de se passer. Tu vois cet humain-là, il est tellement réceptif aux sorts que les cyberniens ont mis en place sur les réseaux, qu'il a pris plus qu'il ne peut se payer. Maintenant observe bien ce qui va se passer. » dit-elle absorbée par ses explications.

    Génard fixe l'écran sur lequel la scène se déroule : un luzanote est en train d'expliquer à l'humain qu'il doit remettre des choses en rayon tout en essayant de contrebalancer les sortilèges des cyberniens. Mais l'homme se met dans une colère noire, tant il est stimulé dans ses besoins d'acquérir à tout prix.

    « Tu vois j'ai remarqué que les bipèdes qui abusent d'internet deviennent un peu trop addict à la consommation, à tel point qu'ils sombrent dans une spirale infernale où seuls la vie sur les réseaux et les achats existent ; explique-t-elle fièrement.. C'est parce que ça met en action des voies neurologiques de satisfaction et ils ne peuvent plus s’en passer. Ils sont accros quoi ; dit-elle caustique. Je t'avoue que de cela, je m'en fou. Limite, ils seraient tous comme ça que ce serait nickel ; mais je m’ennuierai à mourir ; poursuit-elle avec cynisme en fixant Génard. Certes ils ne travaillent pas du coup, mais je préfère les garder dans ce cercle vicieux en leur versant une aide. D'abord parce qu'ils sont sous contrôle et ensuite parce que je peux faire des expériences sur les addictions. Sait-on jamais, ça peut servir un jour ; expose-t-elle en lâchant un rire sardonique. J'ai aussi découvert que l'usage du net les déconnectent de la réalité et les coupes de leur essence originelle. Et tu vois, plus cela arrive et moins le clan de la lumière peut refaire surface ; poursuit-elle toujours aussi emplit de méchanceté. Grâce à l'intervention des cyberniens je peux faire tout un tas d'expérimentations et petit à petit je resserre ma toile sur le clan de la lumière. Si mes calculs sont bons, le fait que les humains ne croient plus en rien, va les affaiblir suffisamment pour que je puisse les anéantir ; conclut-elle pleine de haine. Tiens observe le chariot du type » dit-elle en lui enjoignant de regarder de nouveau l'écran.

     

    Dans le caddie du gars, il y a trois télévisions, six tourne-disques, huit chaînes hi-fi et un nombre impressionnant de DVD, CD et autres dont certains sont en plusieurs exemplaires. Le luzanote qui n'arrive pas à lui seul à contrer les maléfices des cyberniens appelle discrètement du renfort. Avec ses acolytes, ils unissent leurs forces et jettent des sorts pour atténuer ceux des cyberniens. Tout à coup l'homme fixe les luzanotes et devient tout cramoisi. Il regarde dans son chariot et se gratte la tête, interloqué par son contenu. Pourquoi a-t-il acheté autant de choses ? Il ne se rappelle même pas avoir mis tout ça dans son caddie ! Génard qui regarde la scène se tourne vers Héléna, un sourire suffisant accroché aux lèvres :

     

    « Tu vois que ça ne fonctionne pas ton manège. Les ensorcellements sont trop puissants ; et quand les luzanotes sont obligés de les inverser, tes humains reçoive un électrochoc qui les réveillent au lieu de les laisser endormis. Tu es vraiment trop stupide ; lui dit-il sur un ton cassant.

    - Dis donc petit merdeux, le tance t-elle l'air hautain, t'es qui toi pour te permettre ce genre de réflexion ? Rien de plus qu'un humain parmi les humains qui a la chance que je le laisse entrer dans mes petits papiers ! poursuit-elle agressivement. Je te conseille de te la fermer si tu ne veux pas que je te réduise en bouillie, dit-elle avec violence. Observe donc la suite crétin au lieu de faire tes réflexions déplacées qui risquent de te coûter la vie si tu continue comme ça, poursuit-elle d'un air menaçant lui montrant bien que son privilège peut être de courte durée s'il continue à jouer au con.

    - T'énerve pas comme ça ! Je suis vraiment désolé d'avoir offensé son altesse », répond Génard sur un ton obséquieux en faisant la révérence ; tout en se gardant bien de dévoiler sa vraie identité.

    Il est absolument ravi de constater que les incantations qu'il a faites lors du combat dans les grottes aient ainsi portées leurs fruits. Elle ne se souvient même pas de lui. Ceci dit, le moment venu, il lui révélera sa vraie identité ; mais pour l’instant il préfère la laisser croire qu'il n'est qu'un simple humain. En tous les cas il a eu chaud aux fesses, pense-t-il. C'est que la diablesse en herbe est susceptible ! Il va devoir jouer serré et en finesse et ça c'est pas vraiment son truc. En général, Génard fonce plutôt dans le tas. Mais ce qu'il a vu lors de sa voyance dans les yeux des crapauds le conforte de prendre soin de la petite recrue. Aussi mielleusement reprend-il la parole :

    « J'espère que tu me pardonneras. Encore toutes mes excuses pour mon comportement », continue-t-il le regard implorant.

    Ah s'il n'était pas un démon, il pourrait sans problème entrer dans le cinéma comme acteur, se dit-il. Il trouve sa prestation largement à la hauteur des plus grands comédiens. Du reste, les propos d'Héléna lui confirme.

    « Ça ira pour cette fois, mais ne t'avise pas de recommencer, lui dit-elle comme si elle réprimandait un petit enfant en le regardant sévèrement. Tu as de la chance que j'enregistre tout ce qui se passe pour pouvoir faire des débriefings avec mes sbires. Je vais donc te montrer la suite de ce qui s'est passé pour le bonhomme dans le magasin. »

    Joignant le geste à la parole, Héléna reprend le cours de l'enregistrement là où ils l'ont laissé.

     

     « Oh je ne sais pas ce qui m'a pris, je suis vraiment désolé de vous avoir crié dessus comme cela. En plus vous avez raison, je n'ai absolument pas besoin de toutes ces choses », se répand en excuse le client les yeux pleins de questions contradictoires.

    Tout à coup, il se met à transpirer à grosses gouttes et dans sa tête se bousculent plein de pensées sur d'hypothétiques complots. Il recule effrayé en se disant que tout cela n'est pas normal.

     

    Sur les lèvres de Génard, un léger rictus se dessine tandis qu'il regarde la scène ; tout va dans le sens qu'il pense et la femme-fée va bientôt lui rendre ses plus plates excuses pense-t-il. Impatient, il regarde la suite des événements.

     

    « Ne vous inquiétez pas monsieur », répond le luzanote qui tout en lisant dans les pensées de l'humain tente de rattraper le coup pour enlever les soupçons qui émergent dans sa tête. « Vous savez, sans vouloir vous faire peur, je serais vous j'irai voir mon médecin, car vous sembliez être dans un état second. Il est possible que vous ayez eu une sorte d'absence. J'ai même hésité à appeler les pompiers tant vous sembliez mal en point ; » poursuit-il la mine très inquiète et le regard très expressif.

     

    « Ça alors, pense Génard, un concurrent pour le premier rôle de comédien ! Je me demande si je vais pas détourner quelques luzanotes de la cause d'Héléna pour les enrôler. Ça peut servir ces petites bêtes là. » se dit-il tout en se frottant le menton très intéressé.

     

    L'homme qui voit l'expression très inquiète du luzanote se prend à douter de lui même de ses suspicions, se moquant intérieurement de lui. Tout en pensant à cela, il devient tout pâle, s'inquiétant pour sa santé. Le luzanote très prévenant s'empresse de lui présenter une chaise pour qu'il s'assoie.

    «  Vous êtes sûr que cela va aller monsieur ? demande-il innocemment avec suffisamment d'inquiétude dans la voix.

    - Vous avez raison, je me sens tout bizarre en plus je ne me souviens même pas avoir remplis mon chariot. J'étais même à deux doigts de croire que j'étais ensorcelé, continue t-il cramoisi et le regard honteux. Je vous demande pardon d'avoir douté de vous et de vos intentions monsieur et je vais écouter vos conseils. Dès que je rentre à la maison, j'appelle le médecin, annonce le client penaud.

    - Ne vous excusez pas ; ça peut arriver. Et je vous avoue qu'il me serai arrivé la même chose, j'aurais certainement pensé comme vous. Limite si je ne me serai pas cassé la gueule. Faut pas croire, je fais mon travail car je tiens à mon salaire à la fin du mois, mais je suis un sang chaud voyez-vous » ; poursuit le luzanote très convainquant.

     

    Génard qui regarde la scène en reste coi, ce luzanote est carrément bluffant.

    « Un Oscar, dit-il tout haut. Il faut lui discerner un Oscar à ton employé. Il est énorme ! Une véritable prouesse ! Respect madame » dit-il à Héléna en s'inclinant discrètement devant elle.

    Un large sourire de satisfaction se dessine sur la bouche de la femme-fée et sans regarder Génard elle répond :

    «  Écoute donc la suite... » ; dit-elle sur un ton d’autosatisfaction ; et elle appui sur la télécommande pour remettre l'enregistrement en route :

     

    « C'est vrai qu'on dirait pas que vous êtes impulsif. Vous avez bien géré le truc. C'est quand même bizarre ce qui m'arrive, répond le consommateur rassuré par le luzanote.

    - C'est sur, mais avec toutes ces merdes qu'on nous a fait ingurgiter pendant des années c'est possible que ça nous fasses débloquer par moment. Heureusement qu'Héléna a pris les commandes et qu'elle veille sur nous, continue le responsable du magasin très persuasif.

    - Ouai. Au moins, cette nana a les pieds sur terre et pense à notre bien-être. J'aurai jamais cru dire ça un jour mais c'est sur que les femmes gèrent mieux les choses que nous, dit l'homme hilare.

    - Je suis d'accord avec vous. Je trouve qu'en général les femmes sont pas très douées, mais celle-là elle assure, enchaîne le luzanote d’un air entendu. Mais vous êtes encore pâle et ce serait peut-être bien que vous veniez vous poser un peu dans notre local, histoire que vous repreniez totalement vos esprits. Cela m'ennuierais que vous ayez eu un nouveau malaise. Et si vous voulez on peut faire venir votre médecin ici ; qu'en pensez-vous ? termine le luzanote prévenant tout en le conduisant vers la salle de repos.

    - Oh c'est vraiment gentil. » lui répond le client rassuré, se laissant emmener sans broncher.

     

    Génard très impressionné par la prouesse du luzanote n'en reste pas moins circonspect sur la finalité de tout cela. Il regarde, tour à tour l'écran, puis Héléna en se posant moult questions quant à ce que peut apporter ce genre de procédé à son règne.

    « En quoi tout cela peut-il servir tes plans ? Certes les humains sont coupés de leur être profond ; mais ça ne peut pas non plus durer. Tu sais bien que le cerveau est puissant et que de nouvelles connexion se feront pour détourner le problème. C'est le principe de la survie des espèces. C'est vrai que la prestation que nous venons de voir est absolument remarquable ; dit-il admiratif. Pourtant je ne vois pas en quoi cela peut t'amener à terme à éradiquer de façon drastique le clan de la lumière. Et comment tu peux empêcher que ce type ne finisse pas par voir qu'il est manipulé ? demande-il très curieux de ce que la femme-fée va bien pouvoir lui apporter comme arguments.

    - Notre truc est bien rôdé. L'homme a réalisé inconsciemment qu'il se passait quelque chose d'étrange. Alors les luzanotes vont le surveiller quelques temps et nettoyer sa mémoire pour qu'il ne se souvienne que de son dit malaise, argumente Héléna avec félicité. Tu vois, en agissant ainsi on ne me discrédite pas, les humains continuent de me voir comme un modèle de perfection. Je te rappelle quand même que je suis à la tête de tous les pays aujourd'hui grâce à mes actions. Du reste, tu as entendu, aussi bien que moi, les compliments que ce type m'a fait ; termine-t-elle sans aucune modestie.

    - Vraiment, soit je suis totalement dépassé, soit tu es complètement à côté de la plaque. Je ne vois pas en quoi tu vas faire disparaître le clan de la lumière en agissant comme cela, persiste-il dans sa position, avec mépris. En tous les cas, moi j'ai passé plusieurs millénaires à contrôler les humains à l'aide de mes démons et je n'ai jamais agis aussi bizarrement, » dit-il tout en se mordant la langue.

    « Merde, quel con je fais ! Je viens de me dévoiler ! Mais quel crétin ! » pense Génard dépité par sa propre propension à vouloir briller.

    Il regarde Héléna dont les yeux rivés sur lui sont à la fois admiratifs et plein d'interrogation.

    « Ouf à priori, j'ai évité la catastrophe. Elle ne semble pas en colère contre moi. Finalement c'est pas plus mal qu'elle sache ; plus besoin de faire semblant ; » se dit-il intérieurement avant de reprendre :

    « Je peux t'assurer que j'ai toujours obtenu ce que je voulais sans faire toutes ces simagrées et sans que qui que ce soit ne connaisse mon existence. La preuve, même toi tu m'as prise pour un humain, dit-il avec insolence.

    - Il me semblait bien que ta tête me disait quelque chose. Ainsi c'est toi le chef du clan de l'ombre ? demande Héléna plus admirative qu'en colère.

    - Euh du moins ce qu'il en reste, parce que pour le moment j'ai plutôt l'impression que c'est toi qui occupe cette place », lui répond-il sur un ton où frise l'humilité.

    « Ah oui, je suis vraiment bon ! Je devrais vraiment m'enrôler comme acteur, je ferais un carton » pense-t-il très fier de lui et de sa prestation qui laisse Héléna totalement subjuguée.

    « J'ai peut-être été élue dans tous les pays du monde ; mais je n'ai pas remporté le suffrage auprès de tous les êtres magiques. Alors ça reste toi le chef du clan de l'ombre, affirme-t-elle une pointe d’amertume dans la voix. Mais au fait, pourquoi m'as-tu laissé croire que tu étais un humain ? demande-t-elle avec un voile de soupçon dans la voix.

    - Je voulais juste m'assurer que tu n'allais pas trop me faire d'ombre tout en servant la même cause que moi, répond-il avec aplomb. Et ce que j'ai vu me rassure. C'est cool d'avoir quelqu'un qui fait mon travail en partie. J'espère que tu ne m'en veux pas trop ? la questionne-t-il tout en faisant mine de faire amende honorable.

    - Non c'est une façon originale d'infiltrer ses ennemis. Et il faut que tu sois un puissant démon pour avoir réussis à contrer mes sortilèges. Je suis même plutôt flattée que le seigneur des ténèbres ce soit déplacé en personne pour m'observer, dit-elle tout émoustillé par l'intérêt que lui porte le démon. Pour ce qui concerne mon entreprise auprès des Hommes, donnons-nous rendez-vous dans deux mois pour en reparler. Tu verras si ça ne débouche pas sur quelque chose, l’invite Héléna sûre d’elle.

    - D'accord, d'ici là nous nous croiserons sûrement dans quelques soirées mondaines, répond-il content de la tournure des événements. À bientôt Héléna. Et puisque nous sommes entre nous, permets-moi de partir à ma façon. » sans attendre sa réponse il se volatilise vers ses quartiers.

    Héléna reste songeuse, « Ainsi Génard est à la fois inquiet pour son trône tout en me sous-estimant ? Il va bien devoir s'incliner devant mes résultats lors de notre prochaine entrevue, » se dit-elle.

    Alors la fée déchue, dans les semaines qui suivent, renforce les ensorcellements pour que les humains ne vivent qu'au travers de la consommation, qu'ils en oublient tout le reste. Elle prend le monopole de tous les magasins, évince les artisans qu'elle oriente dans ses usines pour qu'ils transmettent leurs savoir-faire, afin de garder la main mise sur l'économie. Elle ne laisse rien au hasard, faisant en sorte que tout ce qui sort de ses manufactures soit aussi ensorcelé. Elle fait même changer l’éclairage de l’Empire State Building, pour que ses couleurs ne reflètent que les moments forts où acheter intensivement et envoyer par la même occasion d’autres images subliminales. Indubitablement Héléna devient la reine de l'achat !

     

    Du haut de son appartement, qu'elle a conservé, ne voulant pas s'installer à la maison blanche, Héléna ; toujours empreinte de jubilation en voyant cette fièvre acheteuse se répandre ; observe les mouvements des Hommes. Pleine de mépris pour le genre humain, elle rit à perdre haleine. Se détournant de ses écrans, Héléna promène ses yeux autour d'elle, admirant son logis qu'elle a réaménagée totalement. L'accès se fait par l’ascenseur où de chaque côté siègent deux gigantesques aquariums ; de dix-huit mètres de long chacun sur un mètre de profondeur et un mètre cinquante de haut ; remplit de pyranas. Un immense salon de cent-vingt mètres carré occupe une bonne partie du rez-de-chaussé. Héléna à fait faire sur mesure un canapé qui comporte un dossier central de quatre-vingt centimètres d'épaisseur et deux assises afin de pouvoir à loisir soit regarder ses pyranas, soit s'adonner à son programme préféré sur son immense écran plasma qui prend toute le surface du mur opposé à l'aquarium. Le canapé est recouvert de peau de Léopard ; animaux qu'elle a fait cloner afin de respecter la biodiversité. Curieusement Héléna a encore quelques soupçons de bonté, et ne voulant pas affecter l'équilibre naturel des choses, tout en refusant une imitation, elle a choisis le clonage pour satisfaire à ses désirs. L'ossature du canapé, comme les autres assises, est faite de bois d'ébène, peint couleur or. Une dizaine de fauteuils épars dans les tons noir et doré sont décimés de manière conviviale autour du canapé, sans obstruer la vue sur les deux façades occupées par l'écran et les aquariums. Sur la droite en entrant, de grandes baies vitrées ; qui donne sur une spacieuse terrasse ; apportent une luminosité exceptionnelle qui permettent aux splendides plantes carnivores de se développer harmonieusement. Sur le mur en face des fenêtres, se trouve la cheminée en marbre noir, tout autant grandiose et un bar en bois d'ébène aussi. De ce même côté, une porte donne accès à sa chambre de soixante mètres carré, comprenant une salle de bain. Une autre porte plus discrète donne sur les toilettes. Le salon est peint en rouge et gris et les murs sont dépourvus de toutes décoration. Un escalier en marbre, non moins gigantesque, dessert l'étage d'une surface de cent-soixante-dix mètres carré qu'Héléna n'a pas encore fait complètement aménagé. On peut y trouver sur la droite, une pièce fermée de soixante mètres carré, composée d'une cuisine américaine avec îlot centrale et d'une grande table de douze mètres de long, autour de laquelle sont disposées les chaises. Les peintures sont noirs et grises ; le mobilier rouge sang et l'électroménager dernier cri couleur inox. Héléna utilise très rarement cette pièce, préférant faire venir des traiteurs ; et ainsi organiser des buffets froids car elle déteste les odeurs de nourriture dans son appartement. Toute à l'admiration de son logement, elle n'entend pas Génard qui arrive sans crier garde ; ce qui ne manque pas de la faire sursauter.

    « Qu'est-ce que tu fais là ? lui demande-t-elle suffoquée par son culot de débarquer ainsi.

    - Eh bien je viens au rendez-vous que nous avions convenu il y a deux mois ; répond-il le plus naïvement du monde.

    - Ah oui c'est vrai, j'avais oublié. Tu aurais pu au moins te faire annoncer. » dit-elle excédée par son air innocent d’arriver ainsi comme un cheveu sur la soupe.

    Héléna le rejoint près du bar et se moquant bien des avis du World Whiskies Awards, elle sert deux verres de Mortlach.

    « C'est le fameux whisky de plus de soixante-dix d'âge dont je t'ai parlé ; explique-t-elle mondaine. J'adooorre ce whisky, roucoule-t-elle et elle ajoute rocambolesque : Pour être sûre de ne pas être à court, j'ai fait réquisitionner toutes les bouteilles restantes.

    - Je te trouve bien rétrograde Héléna, lui répond Génard avec morgue. Il a été supplanté par d'autres whiskys depuis longtemps ton breuvage, dit-il avec condescendance. Et en plus, il paraît que tu as fait détruire toutes les distilleries. Pourquoi as tu fais ça ? C'est stupide, affirme-t-il en la toisant de haut avec mépris.

    - Absolument pas ! réplique-t-elle, en manquant de s’étrangler face au toupet du démon. Il reste celles d'Écosse, affirme-t-elle vexée.

    - Justement ! Et les autres alors ? Elles faisaient aussi de bons whiskys. Elles aussi gagnaient souvent des médailles d'or de par leur cru ; argumente-il dépité par les comportements de la fée. Les humains sont maître dans l'art de la fabrication des spiritueux et bien d'autres choses encore. Et toi, tu te permets sans même t'y connaître de tout saboter ! rétorque-t-il peu enclin à abonder dans son sens.

    - Un whisky, un vrai, ne peut être qu'écossais, grogne Héléna atteinte dans son orgueil. Il n'y a rien à ajouter, conteste Héléna boudeuse.

    - C'est bien ce que je dis, tu es rétrograde, réplique Génard avec un rire cynique.

    - Rétrograde pour rétrograde ce whisky sera servi sans glaçon ! Même si je sais que tu le préfères « on the rock ». Cela serait un sacrilège cher monsieur, vous en conviendrez, de massacrer ainsi ce breuvage. Tu peux bien rire, je m'en moque totalement. » dit-elle agacée par le comportement du démon.

    Héléna admire longuement la couleur ambrée du whisky, le fait tourner délicatement dans son verre, en aspirant les effluves qui en sortent. Elle en goûte une gorgée, fait claquer sa langue de plaisir, puis ajoute :

    « C'est une pure merveille ! Tiens trinquons à ma réussite », dit-elle en tendant le verre de Mortlach à Génard. Puis lui tournant le dos, elle se dirige vers la cheminée où se tient majestueusement une vieille boîte en bois. Cérémonieusement elle l'ouvre et en prend deux bons Havane.

    « Ils sont exclusivement fait à la main. Ce sont à mon avis les meilleurs du monde, affirme Héléna avec passion.

    - Idem tu as tout détruis. Aucun autre fabricant de tabac hormis les Havanes, lui fait remarquer Génard dépité.

    - C'est vrai mais j'ai mes raisons, admoneste-elle ; voulant mettre en garde Génard quant à ses attitudes irrespectueuses. Je ne veux pas que les humains soient atteints de maladies dues aux méfaits du tabac. J'ai mené une grande campagne de désintoxication avec l'aide des mésanoles, explique-t-elle fièrement. Je suis donc la seule à posséder ces quelques délices ; que je consomme tout de même avec modération ; précise-t-elle avant que le démon ne lui lance encore une sale réflexion. Même si la maladie ne peut pas m'atteindre, je ne veux pas devenir addict, termine-t-elle avec dédain.

    - Pourquoi ne leur laisses-tu pas ces petits plaisirs ? Tu les prive de tout là. C'est du délire ! Plus de maladies, plus d'addictions, plu des souffrances ! demande le démon méprisant.

    - Oui Génard, je les prive de beaucoup de choses, affirme Héléna pleine de pitié envers le démon qui ni entend rien dans ses stratagèmes. Toutefois les humains sont ravis. C'est ce qui est le plus étonnant. Pour eux, je les ai libérés d'un fléau ; exulte-elle en buvant une gorgée de son whisky. Et puis, la maladie ne remplit pas mes coffres forts et je n'ai que faire des expériences réalisées dans les laboratoires pour asservir les hommes, expose-t-elle avec agacement. J'ai bien d'autres moyens pour prendre le pouvoir que de les rendre malade, dit-elle avec délectation. Je trouve ça plus drôle de les manipuler pour éteindre la magie sur Terre. Et je ne suis pas là pour te servir non plus, alors je prends le monopole comme je l’entends. » bougonne-t-elle, très affectée par les propos de ce type.

    Sur ces mots Héléna hume son cigare puis l'ouvre amoureusement.

    « Un ou deux millimètres pas plus. Juste dans la courbe du bout », dit-elle à voix haute.

    Génard ne sait si elle s'adresse à lui, ou si elle se répète la leçon pour elle-même. Il observe Héléna accomplir son rituel. Elle prend des allumettes puis allume son cigare en veillant à ce que toute la surface soit bien incandescente. Satisfaite, elle joue avec la fumée, la laissant parcourir son palais, la faisant glisser sous sa langue avant de la rejeter voluptueusement par petits bouquets. Son petit cérémoniel terminé, elle boit une gorgée de son Mortlach puis tend à Génard le cigare qu'elle lui a réservé.

    « En temps normal je ne suis pas fan des femmes qui fument le cigare, je trouve cela même plutôt vulgaire. Mais toi, tu y mets tant de dévotion et de sensualité que tu damnerais tous les démons s'ils n'étaient pas déjà en enfer, concède-t-il aguiché par l’attitude de la fée.

    - Mmm, tu sais parler aux femmes toi ! répond-elle émoustillée par ces propos.

    - Ce n'est pas un compliment, juste un constat, affirme-t-il agacé par sa propre réaction.

    - Raison de plus, c'est très flatteur et ça prouve que quel que soit la situation je sais donner le change », lui répond-elle en le regardant droit dans les yeux, avant de lui faire une longue diatribe au sujet des humains. « Regarde les bipèdes, même eux se font avoir sur mes réelles motivations. Je m'attendais à de la résistance. Je pensais que nous allions avoir du fils à retordre dans ma prise de pouvoir. Rien ! Je les ai totalement hypnotisés. Ils ont gobé tout ce que je disais lors de mes campagnes présidentielles, énonce-t-elle avec arrogance. Ils ont accepté toutes mes réformes, sans riposter. Aucune résistance contre les sorts, ni de rébellion quant à la participation aux tâches hors temps de travail, ni sur la suppression des alcools et cigarettes. Loin de là, ils sont ravis. Ils ne voient même pas que leur nid est rempli de choses dont ils ne se servent même pas. Je les télécommande à distance et j'en fais ce que je veux. Regarde-les, poursuit-elle dédaigneuse. C'est vraiment une sous race. Je pensais m'amuser plus que ça, mais ce ne sont que de vulgaires animaux rien de plus. Je n'ai même pas eut à combattre les êtres du clan de la lumière. Ils se sont volatilisés en quelques fractions de secondes, laissant les humains à leur triste sort. Des lâches ! Ils se disent là pour aider mais au moindre coup de Trafalgar, ils disparaissent sans aucune résistance, termine-t-elle à bout de souffle tant elle a débité son flot de parole presqu'en apnée.

    - Héléna ne sous-estimes pas les Hommes, l’a prévient Génard. Ils tâtonnent sur certains points certes, mais ils ont réellement bien évolués. Tu sais bien qu'instaurer un climat de peur les empêche de penser et de voir la vérité, or toi tu les plonge dans le bien-être. À terme, ils ne peuvent que se soulever contre toi, parce que justement, leur évolution va aller encore plus vite ; explique-t-il le visage grave. Quant aux êtres de lumières méfient toi, ils peuvent être en train de préparer un sale coup contre nous, la met-il en garde.

    - Les terriens ne sont pas capables de réfléchir par eux-mêmes, affirme-t-elle hautaine. Ils ne voient pas, que depuis le début nous les menons à la baguette. Il suffit juste de leur faire croire que nous agissons pour leur intérêt et le tour est joué ; affirme-t-elle avec outrecuidance, un sourire niais aux lèvres. Obtenir le pouvoir n'est-ce pas ce que nous recherchons ? J'ai réussi à les persuader que je suis celle qu'ils attendaient. N'est-ce pas merveilleux ? interroge-t-elle plus pour elle-même que pour Génard, tellement elle est sûre de son pouvoir.

    - Certes ils sont tous à ta botte, parce que tu leur as donné ce dont la majorité rêvait. Mais tente de changer la moindre chose et tu verras, l’avise-t-il inquiet.

    - Génard es-tu aveugle ? Ne vois-tu donc pas que j'ai tout sous contrôle ? Ils sont ensorcelés H 24 et aucun encore, n'a pu se soustraire à mes sortilèges. Et je n'en suis qu'à mes débuts. Maintenant que je suis à la tête du monde, je vais passer à la vitesse supérieure. » rétorque t-elle dédaigneuse.

    Héléna est très fière d'elle et de ses faits et gestes ; même les hommes de pouvoir se sont rangés de son côté. Tous les peuples sans exception l'ont acclamé, parce qu'elle leur a redonné leur dignité où chacun peut vivre en comblant tous les besoins. Il n'y a plus un pays qui connaît la famine, la guerre... La femme fée ne doute de rien et ne recule devant rien pour atteindre son objectif principal qui est d'écraser Capucine. Génard malgré tout, la met en garde une fois de plus.

    « Héléna gaffes toi. Ne sois pas trop imbue de ta personne. Les Humains ont de réelles capacités, ils sont capables de grands soulèvements, lui explique-t-il d’un ton prévenant. Tu devrais un peu te pencher sur l'histoire des Hommes. Tes pouvoirs seront inutiles devant leur volonté de retrouver leur liberté. Tu ne pourras pas empêcher leur évolution. Sois vigilante, l’alerte-t-il sévère.

    - On dirait que tu les défends Génard ! Tu es vraiment curieux. Désolée si mes méthodes ne te conviennent pas, en tous les cas elles marchent très bien pour évincer les êtres de lumière ; persiste-t-elle complètement hermétique aux propos du démon.

    - Non, je ne prends pas leur défense. Je sais juste ce dont ils sont capables, admoneste-il agacé par l’entêtement de la fée. Assure tes arrières, parce que même tes ennemis jurés pourraient revenir en force si les cinq arrivent à voir le jour. » Sur ces mots sibyllins pour Héléna, il se volatilise.

    Pensive un rictus cynique aux lèvres, la fée regarde sur son écran le flot des humains qui remplissent les magasins et qui en ressortent les mains pleines.

    « Mon emprise se répand sur toute la Terre. J'ai placé des luzanotes et des cyberniens sur chaque continent. Certes il reste bien de-ci-delà quelques réfractaires à internet mais cela n’est pas inquiétant. Génard est une vraie mauviette et j'ai bien l'intention de poursuivre sur ma lancée ! » pense-t-elle.

     

    Héléna qui a une longue vie devant elle, compte bien profiter le plus longtemps possible de son règne, aussi s’emploie-t-elle avec l’aide des meilleurs chercheurs du monde à intensifier les actions de protection de la planète. Grâce à sa magie et celle de ses acolytes, toutes les machines et infrastructures polluantes sont remplacées par d'autres ne fonctionnant qu'avec les ressources naturelles. Le réseau de transports en commun est développé et parallèlement l’usage des véhicules personnels est interdit.

    Si, au début, les humains ont tiqué devant la suppression de leurs moyens de locomotions, tous voués à la démolition et au recyclage, la compensation par le développement d'un réseau gratuit et pratique les a vite réconcilié avec cette réforme.

    Continuant sa trajectoire, la femme-fée s'occupe de restituer à la terre comme aux Hommes, une bonne santé. Tous les sites à risque sont réhabilités grâce à la magie des êtres au service d’Héléna. Les humains doivent, quant à eux, consacrer minimum une semaine de leurs vacances pour participer au nettoyage des déchetteries sauvages, des plages et autres lieux pollués.

    Des sites comme le lac de Baïkal, la presqu'île de Kola en Russie, le lac Ourmia en Iran, sont totalement réhabilités. D'autres lieux dans le monde sont aussi dépollués comme certaines régions de l'Arctique canadien, de Finlande... où les cours d'eau contenaient des quantités de plomb excessives, ou comme le village de Salsigne en France dont le taux d'Arsenic était encore très élevé à cause de l'exploitation de l'ancienne mine d'or aujourd'hui désaffectée... Les pluies acides, le trou dans la couche d'ozone, les déchets radioactifs… toutes les sources de pollution de la planète sont ainsi éradiquées. Le Japon qui avait subi de graves sinistres suite au tremblement de terre puis au tsunami est aussi purifié. Toutes les constructions qui sont dans le non-respect de l’environnement sont détruites ; remplacées par des habitations saines comme les tiny-house.

    Beaucoup d'hommes sont heureux de participer à ce grand programme, qui loin de desservir Héléna renforce l'engouement qu'ils ont pour elle.

    Il fait bon vivre sur Terre.

    L'air est sain, tout est parfait.

     

    Héléna, poursuivant sur sa lancée, donne un jour de congé mondial pour remercier tout le monde pour la participation active au sauvetage de l’environnement. À cette annonce des cris de joie fusent de partout. Les gens se réunissent, jouent de la musique, fêtent la providence qui leur a mit Héléna sur leur chemin. Celle-ci profite de cette journée pour faire une allocution publique qui est diffusée sur des écrans géants placés à divers endroits de la planète.

    « Chers citoyens; il reste encore beaucoup à faire, mais je suis heureuse de tout le travail que nous avons accompli. Je souhaite vous annoncer nos deux prochaines grandes actions, annonce-t-elle avec déférence. La première sera de verser un revenu de base pour tous. Il est important, à mon sens, que tout le monde puisse vivre décemment. La deuxième étape qui se mènera en fait simultanément sera de lutter contre la surpopulation, expose-t-elle résolument. J'attends de vous chers citoyens, que vous ayez une démarche positive et que vous soyez coopératifs. Il est essentiel que nous réduisions la population mondiale afin de préserver notre environnement, continue-t-elle persuasive. Par ailleurs, avec mon équipe nous avons œuvré ces derniers mois pour la mise en place d'un système médical totalement gratuit, en nous inspirant de l'ancien système espagnol. Nous avançons étape par étape et d'autres actions seront menées pour le bien-être de chacun et la cohésion de notre organisation, explique-t-elle patriotique. Nous vous informerons au fur et à mesure de l'avancée des projets. En attendant je vous souhaite à tous de bien profiter de cette belle journée. » termine Héléna joyeusement.

    La foule en délire l’acclame. Quel bonheur. Tout est si simple avec elle. Enfin les choses se mettent en place.

    Dès le lendemain, les cyberniens entrent en action au travers du net pour programmer les humains sur l'acceptation totale du contrôle des naissances. De plus, sur les lieux de travail, des réunions de sensibilisation sur le problème qu'est la surpopulation et la nécessité absolue de réduire le taux des naissances sont organisées. Des documentaires y sont diffusés pour montrer les effets néfastes que peuvent avoir et ont déjà eu dans certains pays un tel fléau.

    Les humains, convaincus, se plient sans problème aux visites médicales obligatoires et en profitent pour faire la connaissance de leur nouveau médecin qui leur est attribué en fonction de leur lieu d'habitation. Les mésanoles, suivant les ordres d'Héléna, surveillent l'évolution des enfants et activent un sort de stérilité sur chaque individu quel que soit son âge.

     

    Deux choses permettent de distinguer les mésanoles ; qui sont aussi des êtres magiques à la solde d'Héléna ; leur taille : ils mesurent tous exactement un mètre quatre-vingt et deux millimètres et la forme en olive de leur crâne qui immanquablement est chauve. On ne sait d'où vient le premier spécimen de leur espèce, car ils ne se reproduisent que par duplication et sont asexués. Leur espérance de vie est de maximum quarante-ans et dès que l'un d'eux meurt, il se duplique automatiquement en un jeune individus de vingt-ans. Ils ne connaissent pas le stade de l'enfance et lors de la duplication, ils possèdent directement les savoirs de leur ancêtre.

     

    Les mésanoles reçoivent les humains une fois par mois, depuis leur naissance jusqu'à leur mort. Leur savoir et leurs pouvoirs magiques leur permettent de réduire le taux des maladies de près de quatre-vingt-deux pour cent.

    Encore une fois les humains acclament la femme-fée qui miraculeusement est parvenue à leur donner une bonne santé, en plus de toutes les choses qu'elle a mises en place sur la planète bleue.

    Pendant les visites médicales, les mésanoles font une batterie de tests afin de mesurer les capacités des humains et leurs potentialités à résister contre les sorts. En fonction des résultats le sort de stérilité est levé chez les humains qui sont définis comme sans risques, les autres reçoivent la mauvaise nouvelle qu'ils sont dans l’incapacité d’avoir des enfants.

     

    Héléna a la main mise sur la quasi-totalité des humains. Seuls les nomades et les nécessiteux restent à assujettir. Puisqu'ils n'étaient pas soumis aux divers sortilèges et endoctrinements, elle a préféré les éloigner des villes tout en les faisant surveiller. Comme ils sont encore trop nombreux pour être réhabilités, le mieux pour elle était de prévoir d’autres actions, car dans les villes ils pourraient ramener les hommes à la réalité.

     

    *

    Ces gens non conditionnés se regroupent dans les campagnes ou dans les forêts, se construisant de petits chalets pour y habiter. Ils vivent de la cueillette et commencent à cultiver la terre pour pouvoir se nourrir. Régulièrement, ils se réunissent et s’interrogent sur ce qui est en train de se passer sur Terre. Même s’ils voient les bienfaits apportés à la planète, ils constatent que leurs congénères ont perdu toute liberté. Ils restent tout de même vigilants, car ils connaissent l’existence des carvésoniens et n’ont aucune envie d’être pulvérisés par eux. Héléna qui veille sur tout, voyant leurs agissements, décide d'envoyer des luzanotes auprès d'eux pour les contenir. Comme leurs sorts sont nettement moins puissants en dehors des villes, ils doivent faire appel à d'autres êtres magiques pour les aider. Ils permettent donc à ces groupes nouvellement constitués d'entrer en contact les zopins et les pénotariniens.

     

    Les zopins sont des cousins éloignés des Lutins. C'est leur corpulence plutôt rondouillarde et leurs doigts courts et épais qui les différencient des lutins. Ils mesurent entre trente et quarante centimètres et ont de grandes oreilles pointues. En terme d'humeur contrairement aux lutins, ils sont de nature taciturne et aiment jouer des mauvais tours aux humains, c’est pourquoi ils n’ont pas hésité à prêter main forte aux luzanotes. Eux, qui habituellement ne se promènent que tout nu, ont accepté de revêtir la fameuse tenue des lutins pour que la confusion soit la plus totale : pantalon vert et étroit, chaussures longues et pointues, grand bonnet rouge tout autant pointu que les chaussures.

    Quant aux pénotariniens ils peuvent se fondre dans le paysage ou recouvrir l’apparence des elfes ou des gobelins pendant quelques dizaines de minutes. Ils mesurent entre cinquante et soixante centimètres, ont un énorme nez rond qui prend presque toute la place sur leur visage. Leurs yeux sont tout petits, triangulaires, noirs pétrole ; leur bouche est grande avec des lèvres très minces. Ils sont complètement disproportionnés : petites jambes, très long buste, bras qui pendent à terre. Les pénotariniens sont souvent très grincheux ne rigolant qu’au souvenir des mauvaises actions qu’ils font à longueur de journée ; alors se faire passer pour des êtres gentils n’est pas simple pour eux.

     

    La mission des zopins et des pénotariniens est donc d’apparaître de temps à autres auprès des gens qui ont fui la ville et de leur raconter des histoires dans l'objectif de leur faire croire qu’ils sont des humains différents des autres.

    « Il est essentiel que vous restiez éloignés des villes. Héléna ne doit pas vous endoctriner ! Restez positifs, ainsi vos pensées aideront à libérer vos congénères du joug de cette femme-fée. Vous êtes détenteurs de grands secrets et vous pouvez sauver le monde grâce à vos connexions. Nous agirons le moment venu, mais avant il nous faut trouver du renfort, car nous ne sommes pas assez nombreux. Soyez assurés de notre coopération. » disent-ils avec conviction.

    Ainsi ces « élus » accompagnés par les zopins et les luzanotes consacrent leurs journées aux jeux, au travail de la terre, à la récolte de diverses plantes alimentaires ou médicinales, qu’ils redécouvrent avec l’aide de ces êtres magiques. Matins et soirs, ils prient et envoient des pensées positives aux autres humains. À la nuit tombée, devant un feu de bois, dans une petite clairière, ils se réunissent. Là ils écoutent les êtres magiques les abreuver de compliments.

    « Vous agissez à la perfection. Grâce à vous nous allons réussir à contacter les autres êtres magiques et évincer Héléna. » expliquent-ils avec emphase.

    Ces discours sont pour ces humains une véritable fontaine de jouvence. Ils sont fiers d'avoir échappé aux plans d'Héléna et sont persuadés qu'ils parviendront à libérer les humains. Certes leurs intentions sont bonnes, pourtant ils ne voient pas que les outils mis à leur disposition servent avant tout la cause d’Héléna. Ils souhaitent tellement bien faire qu'ils ne voient pas à quel point ils sont manipulés.

     

    Les êtres du clan de la lumière sont bien désolés de voir qu'ils ne peuvent pas atteindre ces Hommes. Ils espéraient qu'au travers d'eux ils pourraient inverser le processus mit en place par la fée déchue. Mais une fois de plus celle-ci a rondement mené sa barque.

     

    *

    « Quel jeu d’enfant de les embobiner ceux-là. Les humains sont tellement prévisibles. » pense Héléna avec un sourire sarcastique. « Quelques rituels à accomplir tous les jours, des dons de télépathe donnés à certains d’entre eux et hop le tour est joué. Finalement Génard s’inquiète bien pour rien ! » se gausse-t-elle ravie de sa réussite.

     

    Héléna voit son œuvre prendre forme. Elle a réussi à avoir une totale emprise sur les Hommes. Sa volonté de faire disparaître les êtres de lumière de la Terre est réalisée. Elle a bien sûr eut quelques craintes quant à ces humains non programmés. Mais au final quelques paillettes et artifices avaient suffi à les leurrer.

    Un verre de Mortlach dans une main, un cigare dans l'autre, Héléna s'installe sur son divan. Elle allume son écran et le met en version multiple pour pouvoir regarder l'activité humaine au travers le monde. Afin de profiter au maximum de son whisky et de son cigare elle coupe le son, laissant son regard se promener d'image en image. Son plaisir est à son comble. Son verre à peine fini, elle se sert une autre rasade. Elle ne garde ce whisky que pour les grandes occasions, là en l’occurrence l'occasion est de taille ! Génard a beau dire, tout tourne comme une petite horloge bien réglée. Elle repense à ses conversations qu'elle a eut avec lui et ne peux s’empêcher de ressentir une gêne qu’elle n’arrive pas à cerner. Elle sent que quelque part dans les méandres de son cerveau, une information qui la titille se cache. Elle a bon se creuser la tête, rien ne remonte. Elle s’agace contre elle-même :

    « Certainement une broutille de plus qu’il m’a dite et qui m’a sorti de mes gongs. Ce sale type à le chic pour ça ! Je suis trop susceptible quand il s’agit de lui. Franchement, je ferais mieux de me relaxer au lieu de gamberger comme ça » se dit-elle tout en chassant ses pensées de la main.

    Tout en sirotant son verre, Héléna jette un œil sur les écrans ; elle s’allonge confortablement sur son canapé et regarde le spectacle en se moquant d’elle même : tout va pour le mieux et quoi qu’ai pu lui dire ce stupide démon, ça ne doit pas être aussi important que ça ! Le regard vague, elle fixe sans les voir les écrans se laissant aller à la détente ; quand tout a coup elle se lève brusquement, s’éclaboussant avec le reste de whisky de son verre. Elle n’y prête même pas attention tant elle fulmine intérieurement.

    «  C’est donc ça qui me tarabuste depuis si longtemps ! Les cinq ! Mais de quoi s’agit-il ? Il m’a lâché cette info et c’est barré comme un scélérat, s’enrage-t-elle. C’est peut-être rien ou une bombe qu’il me garde au chaud pour plus tard. Il me faut en savoir plus », pense-t-elle intriguée.

     

    Aussitôt elle envoie quelques luzanotes en quête d'informations. Mais tout le monde revient bredouille.

    « Quelle bande de bon à rien. Il faut tout se farcir ici » se dit-elle.

    Énervée elle se sert un autre verre de Mortlach et l’avale d'une traite ; puis elle part trouver Génard dans son antre. Mais les patolitotes qui gardent l'entrée, lui interdisent l'accès au motif que Génard est en réunion privée et qu'il ne veut être dérangé sous aucun prétexte. Malgré son insistance, les patolitotes ne fléchissent pas d'un pouce. Les ordres de Génard sont incontournables. Quant à eux, ils ne veulent pas subir de représailles en désobéissant.

    « Mais enfin vous ne me reconnaissez donc pas ! Génard ne saurait me refuser un entretien ! » leur dit-elle consternée.

    Devant la détermination des gardes, elle est obligée de renoncer à sa requête, se promettant à l'occasion d'interroger Génard sur les cinq.

     

    De retour dans son logement Héléna supervise le travail de chacun au travers de ses écrans. Comme tout est parfait elle délaisse son programme favori pour se faire couler un bain, dans son immense baignoire d'or. Elle allume quelque bougie, préférant un éclairage légèrement tamisé. Sa salle de bain est à l'image du reste de son appartement : les murs sont peints en noir et gris argent ; le long de trois d'entre-eux siègent des aquariums remplit de méduses ; le plafond quant à lui d'une surface de soixante mètre carré, chambre comprise, est orné d'un autre aquarium où évolue quelques petites roussette, une race de requin qui ne mesure pas plus de soixante centimètre à l'âge adulte.

    Une fois son bain prêt, Héléna y plonge avec satisfaction ; elle se repaît dans cet écrin d'or, telle une déesse, en regardant les flammes des bougies danser autour d'elle, quand une idée lumineuse lui traverse la tête : Organiser une grande réception à la hauteur de son règne pour fêter sa réussite.

    L'idée l'a à peine effleuré qu'elle saute hors du bain et met immédiatement en branle ses sbires pour que tout soit préparé au plus vite. Héléna ne se prend pas pour la queue d'une cerise, tout doit être instantané à partir du moment où elle a décidé quelque chose. Aussitôt dit, aussitôt fait, et la magie l'aide toujours dans ses entreprises. Depuis le temps qu'elle est au pouvoir, elle le mérite bien. Ses résultats sont plus que probants quant à ses projets ambitieux de tenir le monde entre ses mains. Alors la fête aura lieu le surlendemain, pas un autre jour !

    Pour cette occasion elle pose son dévolu sur Las Vegas afin d'y réunir tous ses serviteurs. Héléna adore cette « capital » du jeu. Tout est démesuré que ce soit les spectacles, les hôtels, les casinos qui sont concentrés sur à peine quelques kilomètres. Les lieux sont restés à l'identique d'avant son règne, car elle adore ce côté luxueux, argenté ; les spectacles, les machines à sous ; ses architectures variées qui reproduisent pour certaines des villes de différents pays. Elle jubile de voir les humains y dépenser leur argent à outrance.

    Pour ses agapes elle réquisitionne le Venetian. Le fameux hôtel-casino où l'on se retrouve plongé dans l'univers de Venise. Héléna malgré son aversion pour les humains apprécie leur créativité : les répliques des œuvres et monuments italiens sont magnifiquement bien fait. Du reste, chaque reproduction des villes est toujours grandiose ; comme le casino qui a choisi le thème de la ville de Paris.

    Elle décide aussi d'organiser un grand spectacle où mégalomanie oblige, elle en est l'héroïne. Elle se voit déjà, la démarche chaloupée ; dans une magnifique robe rouge vif, très ouverte sur le devant, jusqu'à mi-cuisse ; perchée sur de hauts talons rouge vif ; un magnifique collier de perles suspendu à son cou et un sublime boa de plumes blanches négligemment posé sur ses épaules ; recevoir un tonnerre d'applaudissement. Oui pour cette soirée elle aura deux robes sublimes, car elle le vaut bien. Une pour sa représentation, l'autre pour briller devant ses convives.

    Tout le monde est sur le pied de guerre. Pas le temps de dormir ni de se poser une seule seconde. Les heures s'égrènent à une vitesse vertigineuse, mais tout est prêt à temps pour les festivités qu'Héléna ouvre dans la salle de spectacles qu'elle a fait faire sur mesure. Elle offre un show de grande ampleur, haut en couleur, se mettant en scène, telle la sauveuse du monde. Exigeant le concours de Céline Dion ; elle l'ensorcelle pour s'assurer sa présence sans contestations ; et profiter de sa renommée, pour être, elle-même, encore plus adulée. Elle donne à la chanteuse un répertoire de chansons qu'elle a fait écrire pour la comédie musicale ; et pour que Céline Dion ne commette pas d'impair, elle lui jette un sort de plus, afin qu'elle retienne les paroles instantanément. Le spectacle procure les effets escomptés. Héléna est au milieu d’une troupe de danseurs faisant la rétrospective de son règne et des bienfaits qu’elle a apporté. Elle fait sensation dans sa robe rouge et la foule endoctrinée applaudit de toute ses forces.

    Après le show, elle offre mille mets plus délicats les uns que les autres à ses convives. Toutes les cultures sont représentées, car Héléna, qui goûte au plaisir terrestre, apprécie la diversité des cuisines provenant de chaque pays. Aussi a-t-elle recruté pour cette soirée des traiteurs de tous les continents. Les tables sont remplies à profusions de plats variés et il y en a pour tous les goûts. Héléna ce soir veut que ces festivités soient à la hauteur de son règne.

    Elle porte pour l'occasion sa deuxième tenue : une somptueuse robe Tulipe noire, épousant ses formes presque squelettiques, qui s'évase à mi- mollet, fendue sur le côté. La robe est sertie de diamants délicats en bas des manches, autour du cou et à la taille ; simulant ainsi parure de bijoux et ceinture raffinée. Elle a chaussé de sublimes escarpins noirs, finement taillés et biseautés dans un cuir fin et délicat, qui remontent légèrement jusqu'au niveau du tendon d'Achille, avec à leur sommet les mêmes diamants que sur la robe. Sa coiffure est tout aussi grandiose, un travail de maître : chignon savamment sauvage où quelques diamants épars recouvre sa tête de manière harmonieuse. Presque pour une fois, depuis sa transformation, on pourrait la caractériser de belle femme, tant sa toilette, sa coiffure, son maquillage sont d'une qualité rare et minutieuse. Comme d'habitude elle ne s'est rien refusée. Elle a fait appel aux plus grands artistes en la matière. Pour fêter son règne, elle veut briller de mille feux. Elle veut qu'on la voit dans sa toute puissance, dans sa toute richesse, dans sa toute magnificence. Dans un élan grandiloquent, Héléna profite de la soirée et de son panache pour proclamer la journée du lendemain férié. Toutes les télévisions diffusent en direct cette grande fête où elle annonce à tous les peuples que le jour suivant en plus d'être un jour férié sera un jour de festivités à ses frais. Autant dire que cette nouvelle est accueillie dans la liesse générale. Oui franchement, quelle belle idée que de l'avoir élue !

    Après cette annonce, Héléna congédie tous les journalistes et reporters, ainsi que les invités, afin de rester en comité restreint avec ses hommes de mains ; mettant ainsi un terme aux émissions qui rediffusaient l’événement en direct. Une fois tout le monde parti, la fée déchue fait un long discours sur ses exploits. Elle remercie et félicite tous les êtres qui l’aident dans son entreprise. Elle est ravie. Les années défilent sur un rythme de croisière. Peu de choses viennent entraver ses directives. Les adultes se regroupent autour d’Héléna pour l'écouter et discuter des futurs plans à mettre en place. Elle est sans conteste le seul maître à bord. Elle s'écoute parler avec délectation, narcissique jusqu'au bout des ongles ; quand les enfants qui jouent un peu plus loin, l'importune en faisant un tintamarre pas possible.

    « Que l'on fasse taire ces gosses ! On ne s'entend plus ici, crie Héléna. Ce n’est quand même pas possible ! Si ça continue je vais aussi mettre en place des cours de maintien pour vos enfants. » Ajoute-t-elle menaçante en s'adressant à l'assistance.

    Une vague de frisson gagne ses disciples, car chacun sait ce que signifient ces dits cours. Héléna est aussi impitoyable qu'un rottweiler dressé pour tuer, et l'analogie n'est pas anodine quand on sait qu'elles sont les réelles origines de cette femme-fée... Elle désigne deux carvésoniens, leur ordonnant d'aller faire cesser séance tenante le brouhaha.

    « Emmenez les dans une autre salle et restez en faction devant la porte pour qu'ils ne nous dérangent pas jusqu'à la fin du meeting. » dit-elle sur un ton rogue.

    Les enfants, craintifs, obtempèrent bien vite et suivent docilement les carvésoniens vers la pièce qui leur est réservée. Même eux qui pourtant sont des enfants libres, craignent ces êtres incorruptibles et inflexibles. Ils s'installent donc tranquillement tout en se demandant comment s'occuper.

    « Si on jouait au cochon pendu, dit un enfant d’humains dont les parents sont à la solde d’Héléna.

    - C'est quoi ce jeu ? demande un petit luzanote intrigué.

    - Il faut faire deviner des mots aux autres, répond un autre enfant humain d’un air entendu.

    - Facile ! On a qu'à lire dans tes pensées », dit un jeune carvésonien moqueur.

    - Ben, je ne vois pas trop l'intérêt de jouer alors, intervient un autre petit d’homme méprisant. Bon faut savoir si vous voulez rester à vous ennuyer ou si on trouve des occupations à peu près calmes ; dit-il sévère.

    - OK, on coupe les connexions alors. Vas y montre nous comment on joue. » concède un luzanote qui n’a pas envie de finir en bouillie.

    Ainsi les enfants s'occupent le plus silencieusement possible veillant à ne pas attirer l'attention des carvésoniens. Le jeu les captive un bon moment, leur faisant oublier la présence des gardes devant la porte. À cours d'idée un des enfants tente de faire découvrir le prénom d’Héléna. Ce qui donne cela :

     

    H----A

     

    Alors les enfants qui jusqu'à lors se contenaient de leur mieux pour ne pas déclencher les foudres des adultes, éclatent tous de rire. Un enfant de luzanote, les yeux plein de malice, se lève et se munissant de la craie complète le dessin.

    PARTIE I - CHAPITRE III

     

    Les enfants rient de plus belle à ce jeu de mot, en référence à la frénésie d'Héléna d'accumuler des tonne d'or dans ses coffres forts. C'est ainsi qu'ils décident de l'appeler en secret H-A. Le meeting terminé, ils rejoignent leurs parents pour profiter avec eux de la suite des festivités. Certains ont du mal à garder leur langue dans la poche. Bien vite la nouvelle du surnom d'Héléna se répand dans l'assistance. Tout le monde adopte ce surnom. Héléna pas le moins du monde offusquée trouve cela à son goût. Elle proclame à l'assistance que désormais chacun devra l'appeler par ce sobriquet : H-A. C'est ainsi que même son prénom disparaît des mémoires.


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    TRANSFORMATION

    Axide s'étonne à peine d'atterrir à Norbulingka au Tibet où le dalaï-lama résidait avant que la Chine annexe son pays, et qui l'a obligé à s'exiler en Inde ; quoiqu’il se dit que s'il s'était agit de lui, il aurait plutôt opté pour Lhassa qui est une ville symbolisant la destruction et l’extinction des voies spirituelles ; depuis que Mao Zedong a envahit ce pays, qui selon lui avait toujours été chinois.

    « Ainsi, Héléna a choisit l'emblème de l'expatriation ; se dit Axide. Alors j'ai peut-être des chances de la faire revenir à la raison. Il me faut tout de même jouer avec finesse, car ce choix qu'elle a fait de venir se réfugier ici est tout de même à double sens, pense-t-il. Ce lieu est à la fois à l’image d’un grand maître spirituel et en même temps le reflet du chaos pour les bouddhistes. Mais je ne pense pas qu’elle ait idée de nous détruire, sinon elle aurait échoué à Lhassa ; du moins je l’espère », réfléchit-il. « à moins que tout cela n’est aucun sens pour elle. » pense-t-il circonspect.

    Ayant médité sur la meilleure stratégie à adopter pour s'adresser à Héléna, Axide tente de lui faire entendre raison, en voulant lui expliquer ce que Capucine a découvert. Mais ses tentatives sont vaines et après cinq longues minutes pendant lesquelles il essaie désespérément de glisser deux mots dans les propos houleux de la fée, il opte pour une autre façon de l'approcher ; jouant le tout pour le tout en l'a prenant par les sentiments.

    « Héléna ! Tu dois absolument m'écouter, c'est important, l’implore-t-il.

    - Qu'est-ce t'as l'ange ? Tu ne comprends pas que j'en ai rien à faire ? questionne Héléna avec brutalité, les traits ravagés par sa haine grandissante.

    - Mais bon sang ! Tout ça n'est qu'un coup monté de Génard, tente-t-il de lui faire entendre tout en joignant ses mains dans un signe de prière.

    - Foutaises ! répond-elle dédaigneuse, les yeux révulsés.

    - Héléna ! Écoute au moins ce que nous avons découvert ; lui conjure-t-il sur un ton persuasif en s'agenouillant devant elle.

    - Je n'ai que faire de ton baratin, t'es sourd ou quoi ? dit-elle excédée en le toisant du regard.

    - Ta sœur ne t'as pas trahit. Génard… cherche-t-il a lui expliquer hardiment.

    - TAIS TOI TE DIS-JE!!» Héléna élève de plus en plus la voix, pleine de hargne ; elle pâlit sous l'emprise du sentiment de vengeance qui la ronge tout entière. «Ça fait mal à tes petites oreilles que j'hurle ? Comment veux-tu que je fasse autrement ? Tu ne veux pas m'entendre ! Alors écoute-moi bien l'ange », susurre Héléna d'une voix sadique « Je vais vous réduire en bouillie toi et ta bande de marsouins. Comme vous êtes de mèche avec Capucine, vous allez tous me payez l'assassinat de Victor.

    - Tu es sous le coup de la douleur, ne sois pas aussi haineuse ; » dit-il d'une voix douce et compatissante en même temps qu'il cherche à l'emplir de l'amour divin que le Grand-Tout envoie. « Regarde la vérité en face » ; continue-t-il tout en lui envoyant les images de ce qui s'est vraiment passé, espérant la faire fléchir. « Capucine n'a pas… essaye-t-il de la raisonner dépité par sa réaction.

    - Ferme-la ! Disparaît ; crie-t-elle pleine d’amertume. Elle regrettera son meurtre celle-là ! J'en ferai mon dessert de cette petite garce ! Qu'elle se prépare à mourir dans d'atroces souffrances ; promet-elle mauvaise, en même temps que ses yeux s'emplissent de noirceur. Mais avant, je veux qu'elle vous voit tous périr les uns après les autres, ainsi elle verra ce que c'est que de perdre les êtres qu'on aime ! Vas leur transmettre mon message ; et sois heureux, c'est la seule raison pour laquelle je te laisse la vie sauve pour l'instant. » termine-telle en levant le poing.

    Axide les yeux emplit de tristesse observe Héléna, et son âme se déchire en la voyant ainsi se transformer.

    « Finalement la symbolique est claire, quant au choix de Norbulingka ; se dit-il. Voir son peuple mourir tout en étant obligé de se cacher ; rien de plus terrible ! » pense-t-il désenchanté.

    « Dégage minable. » rugit-elle en voyant qu'il est encore là, à la contempler. « J'ai des choses à faire ! »

    Héléna qui déjà n'est plus la même assène cette dernière réplique avec un rire glacial ; un rictus machiavélique scotché à sa bouche, qui déforme tout son visage. Comme pour confirmer ses paroles le soleil, sans préavis, disparaît apportant une atmosphère froide et suffocante. Axide, résigné, se retire avec un dernier regard sur le ciel qui a pris une couleur d'encre noire.

     

    Pas une étoile !

    Pas une lueur !

    Le noir est total.

    La pénombre s'installe sur tous les continents.

     

    De manière anormale, la Terre entière est engloutit dans l'obscurité ; comme si le soleil avait définitivement donné son congé. Comme si cet astre salvateur qui permet toutes vies s'était éteint à jamais. Pire encore, même l'hémisphère où logiquement la nuit a court ; le ciel se trouve littéralement dépourvu de toutes lumière ; donnant l'impression que tous les astres, toutes les étoiles se sont volatilisées. Une sensation de fin du monde sévit, laissant la Terre dans un gouffre d'épouvante. Nombre d'humains, surpris dans leurs activités, se recroquevillent sur eux-mêmes, en mettant la tête dans leurs mains. Ils sentent un froid glacial entrer dans leur corps, qui se répand jusque dans leurs os. Grelottant, ils perçoivent l'anormal, mais ne comprennent rien à ce qui se passe.

    Aucune éclipse n'a été annoncée pourtant !

    Que se passe-t-il ?

    Toutes les organisations de tous les pays sont sollicitées pour donner des explications à cet événement. Le monde entier est en ébullition. Malgré la contribution des plus grands experts, personne n'a de réponse. Les chaînes radios, télévisuelles, tournent en boucle, commentant l’événement. Des personnages de tous acabits en profitent pour donner leurs interprétations, annonçant la fin du monde. Quand soudain toutes les communications s'interrompent, les lumières et toutes les sources d'énergie cessent de fonctionner plongeant la terre dans une pénombre encore plus profonde, dans un silence angoissant. Même les torches refusent de fonctionner.

    Alors, à tâtons, les Hommes, pétris de terreur, se rassemblent. Certains ont des bougies qu'ils allument, d'autres font des feux de bois, apportant ainsi un soupçon de chaleur dans les cœurs.

    Tels les papillons de nuit, de plus en plus d'humains s'agglutinent autour de ces sources de lumière. Certains, même, se mettent à prier en demandant la protection.

     

    La peur règne dans toute sa puissance. Elle est reine.

     

    Elle imprègne tellement l'humanité qu'elle en est palpable. On s'attendrait presque à la voir jaillir des flammes telle une déesse colérique, tant elle est omniprésente. L'ambiance est si étrange que personne ne s'étonnerait de la voir prendre vie. Même les flammes des feux, semblent aussi terrorisées que les humains. Elles n'osent pas trop se montrer et éclairent timidement autour d'elles. Les éléments se fondent et s'imbriquent les uns dans les autres. Dans ces instants tragiques, tout ne fait plus qu'un contre cette obscurité diabolique.

     

    Alors que tout, lutte contre ce mal qui s'installe, le froid glacial se fait plus incisif, l'obscurité encore plus profonde. On se demande comment cela est possible, mais la réponse se trouve dans les flammes elles-mêmes, qui envers et contre toute attention, refusent d'éclairer. Cela en devient de plus en plus flippant, car elles prennent une couleur sombre et n'envoient que du froid. Cette étrangeté amène avec elle un vent de panique ; qui grossit et gagne du terrain, laissant une impression que plus jamais le soleil n’apparaîtra, que plus jamais les étoiles ne brilleront dans le ciel et que la fin de l'humanité est poche.

     

    Que tout est lugubre tout à coup sur Terre !

     

    Des pleurs, des hurlements surgissent de toutes parts sur la planète et augmente la sensation de terreur. Les corps tremblants, roulés en boule, se collent les uns contre les autres. Le moindre bruit anormal arrache des cris de frayeur.

     

    Héléna, qui observe les scènes, rit à perdre haleine. Son rire glauque et moqueur ne laisse rien présager de bon.

     

    Ce noir… ! Opaque... Obscur...

     

    Partout des choses sombres passent, traversent le ciel, les continents. On a l’impression que le diable ensemence la planète de toute sa noirceur. Les Hommes transpirent l'effroi. L'atmosphère est de plus en plus oppressante. De plus en plus de voix scandent des prières. Tel un tambour universel, elles s'unissent les unes aux autres, implorant la miséricorde des cieux. Si les circonstances n'étaient pas si terrifiantes, on aurait presque pu s’attendrir devant l'unisson de ces voix qui relie l'humanité et toutes choses. On aurait pu voir la beauté de cette entente universelle ; mais la noirceur qui imprègne tout, empêche les êtres de découvrir que leur union est une grande force.

     

    Même les pilleurs, qui en temps normal auraient profité de cette aubaine pour dévaliser les boutiques, restent tranquilles, n'osant pas commettre leur larcin. Ils vont jusqu'à joindre leurs voix à celles des autres. Les caïds d'autrefois, sont aujourd'hui, tout autant apeurés que leurs congénères.

    Pour autant, malgré cette intensité dans les prières, malgré cette union dans toutes choses, la peur reste dominante et le ciel est toujours aussi noir !

    L’angoisse se répand. Elle gagne encore plus de terrain. Les pleurs prennent plus d'ampleur. Le frisson d'épouvante est tel qu'il s'insinue chez les bébés, qui à leur tour hurlent à pleins poumons. Les mères terrifiées ont beau s'affairer auprès d'eux, tenter de les apaiser, rien n'y fait.

    Les enfants poussent des cris de plus en plus stridents, ressentant dans leur sang, le froid glacial qui recouvre la Terre. Comme si l'atmosphère n'était pas assez étrange et terrifiante, partout sur la planète tous ceux de moins de huit ans se mettent en position fœtale et poussent des gémissements de douleurs. Des larmes, à trancher l'âme, coulent sur leur doux visage juvénile qui est marqué par le poids d'un savoir ancestral. Recroquevillés sur eux-mêmes, leurs yeux s'emplissent d'une immense gravité. Les adultes peuvent voir dans leur regard le plus grand des désarrois ainsi que la réponse à leurs craintes. Les enfants savent, c'est indéniable. Ils sentent que plus jamais rien ne sera comme avant. Ils savent que le temps de l'insouciance, de la magie est révolu, comme s'ils portaient en eux la mémoire de la prophétie d'Aurore. L'évidence de leur savoir saute tellement aux yeux de tous les parents terriens, que ces derniers tombent à genoux devant leur enfant en leur demandant pardon. Pourquoi demandent-ils pardon ? Ils ne savent pas. Pourtant c'est la seule chose qui leur traverse l'esprit.

     

    Vingt-quatre heures...

     

    Vingt-quatre longues heures de cette atmosphère pesante, quand un rire aussi coupant qu'une lame d'acier bien aiguisée tranche l’obscurité. Il traverse chaque cellule des êtres vivants. Chacun se sent transpercé par quelque chose d'obscur, qui remplit la sève des arbres, le sang des Hommes. Cette sensation gagne peu à peu tout le règne animal, végétal, minéral. Le vent choisit cet instant pour se lever. Il souffle toute sa colère de voir ainsi la Terre ensemencer de noirceur. Les bourrasques de plus en plus fortes éteignent les feux. Les éléments se déchaînent.

    À l'heure où pour certains continents les premiers bourgeons naissent, où les premiers coucous apparaissent ; pluies des plus torrentielles et chutes de neige se disputent la première place, inondant les champs où les jeunes pousses des plantations commençaient à poindre, recouvrant la Terre d'un épais manteau blanc. De partout surgissent humains et animaux qui cherchent un refuge pour se protéger de ce déchaînement violent. Tous s'agglutinent les uns contre les autres. Il n'est plus question de chaîne alimentaire. Il n'est plus question de racisme. Il n'est plus question de peurs de la différence. Tout être vivant confondu se rapprochent, recherchant par le contact à se réchauffer mutuellement, à sentir de nouveau la chaleur couler dans leurs veines. Mais ils ont beau se coller ainsi, la sensation de froid reste profonde. On ne pourrait dire si c'est la peur ou le froid qui les fait grelotter de tout leur être. Certains sont tellement piqués à vif que leurs dents s'entrechoquent malgré eux. Dans les regards se lisent l'incompréhension et la terreur. L'heure n'est plus à la prière. Tous se demandent ce qu'ils vont devenir.

    Les secondes deviennent des minutes, les minutes des heures. Le temps s'étire à l'infini semblant se fondre littéralement dans le néant.

    De nouveau le rire lugubre surgit de la pénombre. Il se fait entendre encore, encore et encore. Il dure une éternité.

     

    Puis vient le silence…

     

    L'oreille aux aguets tous écoutent ce silence ; courbant encore plus l'échine, rentrant la tête dans les épaules, s'attendant au pire. Que va-t-il se passer encore ? Ne peut-on mettre un terme à ces atroces souffrances ? En finir une fois pour toute ? Pourquoi le sort s'acharne-t-il ainsi ? À croire que cette chose horrible se délecte de ces douleurs qui émergent de chaque être vivant. À croire qu'elle s'en nourrit.

     

    Pourquoi ne donne-t-elle pas l’assaut final ?

    N'est-elle pas repue ?

    La tension est tangible dans chacun.

     

    Malgré l’effroi et l'attente fataliste de l'extinction de tout ; le silence demeure. Même les éléments semblent s'être apaisés. Alors, dans les yeux terrorisés, apparaît une lueur d'espoir. Personne n'ose encore parler ni bouger, de crainte que toutes ces horreurs ne reviennent. Pourtant le calme est bien de retour. Tout est paisible, balayant le souvenir des pensées précédentes.

     

    Comme tout être vivant, l'humain a cette force inouïe en lui de vivre le renouveau. Alors des murmures commencent à s'élever, doucement, timidement. L'espoir gagne du terrain.

    Au loin une lueur se met à poindre. Peu à peu la pénombre disparaît. Le soleil enfin est de retour. Les hommes se relèvent. Les habitations s’illuminent. La vie reprend avec dans les cœurs un arrière-goût d’étrange.

     

    Les eaux qui ont inondé les terres disparaissent instantanément, la neige se volatilise, le vent s'apaise ne laissant plus trace de l'expression violente des éléments. Comme par enchantement, en même temps que toutes traces des intempéries s'envolent, la mémoire de ces instants tragiques est effacée. Seuls quelques humains gardent un arrière-goût de quelque chose d'anormal, de malsain, sans bien savoir de quoi il s'agit.

     

    *

    Les choses changent sur Terre. Héléna assouvit son besoin de vengeance. Ce faisant Capucine doit se retirer dans la cinquième dimension avec nombre de ses amis en attendant que des jours meilleurs arrivent.

    Nous sommes en deux-mille-douze. Le cap annoncé par les Mayas vient d’être passé avec perte et fracas sans qu'aucun humain ne garde le moindre souvenir. Personne ne se souvient de cette éclipse totale du soleil. Personne ne se souvient de l'étrangeté de ces dernières vingt-quatre heures. Personne ne sait ce qui se joue en coulisse. Pourtant le devenir de l'humanité est en péril.

     

    * Vincent *

     

    Pendant que la terre connaît ces heures d'éclipse totale, quelque part au sud de la France, dans les Corbières exactement, Constance se tient debout devant la grotte où elle vit avec sa famille. L'obscurité les a saisis à la même façon que le reste de la planète. Constance a allumé un grand feu dans la grotte pour réchauffer l'ambiance et apporter un peu de luminosité. Contrairement aux autres endroits, les flammes ont jaillit sans peine et éclairées de bonne volonté. Comme si, à cet endroit précis, existe un no man's land. Bien sûr, Constance n'a pas conscience que le reste de l'humanité est dépourvue de cette chance ; puisque là où elle habite avec sa famille, non seulement elle n'a pas de moyen de communication, mais en plus elle ne peut s'imaginer qu'une protection les chapeaute ; les mettant ainsi à l'écart de toutes atteintes, dans cet abris où ils ont élus domicile avec Jean, son mari.

    Cela ne l'empêche pas d'être inquiète au sujet de son époux, dont elle guette le retour avec impatience. Elle trépigne sur place, angoissée à l'idée de le savoir dehors, en prise avec les intempéries. Habituellement, elle ne se fait pas autant de soucis, mais là, la violence des éléments la laisse dans un état d'affolement frisant l'hystérie. Elle regarde en direction des arbres qui bordent la prairie, cherchant à deviner la présence de Jean. Des éclairs zèbrent le ciel. Elle espère qu'il a pu se mettre à l’abri, si tant soit peu il a pu en trouver un qui puisse résister à ce déferlement de la nature. Elle finit par apercevoir une silhouette au loin et devine plus qu'elle ne voit, qu'il s’agit de son époux. Son cœur s'illumine, l'esprit rassuré de le voir sain et sauf. Déjà, elle se rêve lover dans ses bras et rire avec lui de ses craintes. C'est vrai que ce n'est pas la première fois que Jean s'absente ainsi pour aller au ravitaillement afin de se procurer ce qu'ils ne produisent pas sur place ; comme le chocolat dont elle et son fils sont très friands, ou la farine que des producteurs locaux leurs fournissent contre des paniers en osier que Constance confectionne. Et bien sûr que dans ces occasions, il est déjà arrivé que Jean soit soumit aux emprises de la météorologie. Mais là, elle ne pouvait s'empêcher d'être submergé par des ouragans d'angoisses ; craignant le pire tant la météo se déchaîne comme jamais. Rassurée, elle rit franchement de sa bêtise et se dit que ce sera une anecdote à raconter à leurs enfants plus tard, au coin du feu. Elle voit déjà le regard complice de Jean qui en relatant l'histoire, la taquinerait gentiment. Elle sent en elle un élan d'amour pour son époux et se réjouie de leur vie, même si parfois il faut contrer les éléments, comme aujourd'hui. En même temps qu'elle se sent réconforté par sa présence imminente, elle lui fait de grands signes avec les bras ; lui signifiant sa joie et sa fébrilité de le revoir. Elle ne le voit pas très bien dans la pénombre, mais elle est persuadée que grâce aux flammes du foyer, lui peut la voir.

    Malheureusement, la quiétude de Constance est de courte durée. Les éclairs se font de plus en plus violents. Le tonnerre gronde encore plus fort. Les éléments s'emportent, se disputant le première place à qui mieux-mieux ; lorsque tout à coup la foudre s’abat sur l'un des gigantesques chênes qui ornent la prairie avoisinante. Constance veut hurler pour alerter son mari, mais le cauchemar qui se déroule sous ses yeux la tétanise sur place. Aucun son ne sort de sa bouche. Même ses membres refusent de répondre aux ordres transmis par son cerveau. Elle assiste à la scène incapable d'agir, totalement démunie, regardant l'inéluctable issue de ce drame.

    Jean qui s'imaginait déjà enlacer sa femme et la couvrir de baisers, en lui racontant ses péripéties au travers de ce déluge, se noie dans le chagrin. Aura-t-il l'occasion d'aimer son épouse encore une fois ? Pourra-t-il la serrer dans ses bras en racontant avec espièglerie, à leur progéniture, l'attente angoissée de Constance, alors qu'il était entre les mains de ce cataclysme ? À cette idée, un soubresaut de courage l'assaille et il sent l'adrénaline le galvaniser. Il met tout ce qu'il a dans les tripes pour s'en sortir et retrouver au plus vite sa famille. Mais il a beau réunir toutes ses forces, toute sa volonté pour éviter l'impact, il ne peut pas nier l'évidence. Dans sa tête tourbillonnent mille pensées, mille souvenirs, mille regrets, dont celui de ne pas avoir pressentit ce qui se passe, de ne pas être rentré plus tôt, de ne plus être présent pour voir ses enfants grandir, sa femme vieillir auprès de lui. Le film de sa vie se déroule depuis sa tendre enfance jusqu'à ce moment précis. Son cœur se serre. Tout va trop vite. Il réfléchit à la meilleure façon d'éviter la mort certaine qui vient déjà le cueillir, mais les lois de la physique sont incontournables. Il sait que rien, si ce n'est la magie, ne peut les contrer. Il ne s'avoue pas vaincu pour autant, réfléchissant à toute vitesse à la meilleure façon de déjouer les événements. Il entend le craquement sourd du bois qui flanche, le hurlement du poids considérable du vieux chêne qui rend l'âme. Il mesure, calcule l'amplitude de l'arbre, tentant de trouver le meilleur endroit pour éviter l'impact.

    Constance a la sensation que le temps s'est arrêté. Elle prie pour que son époux parvienne à s'éloigner suffisamment. Tous ses sens en alerte, elle perçoit ses pensées, ses mouvements. Les éclairs continuent à percer le ciel, éclairant la prairie. Le tonnerre gronde de plus en plus fort, renforçant l'horreur qui se déroule en cet instant pour eux. Impuissante, elle regarde Jean se démener. L'arbre termine sa chute avant même que son époux n'ait pu atteindre l'autre extrémité de la clairière et ainsi esquiver le choc. Constance hurle et tend les mains, comme si du bout des doigts, elle pouvait tout changer. Son cerveau se déconnecte quelques secondes. Dans sa tête une scission s'opère, Jean est mis de côté ainsi que tous les sentiments qu'elle a pour lui. Lorsqu'elle retrouve ses esprits, Constance est déjà autre. Elle court vers lui le cœur serré, ne contenant pas les larmes de rage qui l'envahissent. Elle l'espère épargné ou juste blessé, mais se prépare en son for intérieur au pire. Les branches éparses, semées par les bourrasques de vent, ralentissent son allure et elle peste tout ce qu'elle peut contre ces foutus bouts d'arbre qui se mettent sur son chemin. Constance a l'impression que ces quelques dizaines de mettre qui la sépare de Jean se transforment en kilomètres. Elle fulmine intérieurement, écrasée par le torrent de larmes qui s'écoulent de ses yeux.

    « Je vous en prie, faites qu'il soit vivant », implore-t-elle en avançant péniblement. Elle tourne cette phrase en boucle dans sa tête comme si cela allait conjurer le sort.

    Mais lorsqu'elle arrive, elle ne peut qu'assister au dernier souffle de son mari. Ils n'ont même pas eu le temps d'échanger un dernier mot, un dernier baiser, un dernier regard. Constance suffoque. Elle se morigène, se reprochant de ne pas avoir été assez vite et tombe à genou à côté de son époux. Elle pose sa tête sur son torse et s’effondre de douleur ; en même temps qu'elle sent peu à peu la chaleur quitter le corps de Jean. Hagarde elle regarde le déchaînement des éléments. Elle se sent assaillie par moult ennemis invisibles. Elle pressent que cette violence n'est pas tournée contre les Hommes. Elle perçoit le surnaturel dans cette tourmente.

    « Quelque chose a certainement dû déclencher cette colère de la nature ; se dit-elle au bord de l'évanouissement. C'est comme si l'ombre avait pris le dessus sur la lumière », pense-t-elle hébétée.

    « Comment allons-nous faire ? Jean réveille-toi maintenant. », dit-elle à haute voix d’un ton enfantin, comme s’il pouvait l’entendre.

    Constance divague et se refuse de croire en sa mort, espérant qu'il ne s'agisse que d'un cauchemar. Son esprit part à la dérive un bon moment.

    La pluie battante, qui l'atteint dans sa chair, la ramène à la réalité. Elle reçoit, tel un coup de poignard dans son ventre la mort, de Jean. Elle hurle de toute ses forces, déchirée jusque dans ses entrailles par la perte de son époux, lorsque de violentes contractions la ramènent à elle-même, à la vie qu'elle porte. Le temps d'un éclair, un vent de panique traverse son regard.

    Constance n'a pas le temps de se lamenter sur elle, ni sur son défunt mari. Déjà elle perd les eaux. Elle n'a pas le temps non plus de regagner la grotte. Ses pensées l'échappent de nouveau pendant qu'elle s’accroupit pour mettre son enfant au monde.

    « La grotte est ornée de fleurs aux couleurs flamboyantes dégageant un parfum délicat. Des bougies éclairent les lieux, diffusant leur lumière douce et sereine. Sylvanos jouent du violon accompagné par sa femme à la flûte. Tous deux se tiennent debout près des fauteuils d'osier qu'elle a confectionné l'hiver dernier. Son lit est recouvert de magnifiques voilages, ornés de fleurs en papier, que les autres femmes du clan ont réalisées pour la venue de l'enfant. Pendant que les femmes s'affairent à préparer les linges pour l'accouchement, le berceau du nouveau-né ; les hommes remplissent l'énorme baignoire creusée dans la terre, où bientôt elle se glissera avec Jean pour mettre au monde le nouveau venu... »

    La pluie froide et violente qui dégouline de ses vêtements la ramène de nouveau à l'instant présent. À trente-cinq ans elle se retrouve veuve. Elle pleure son bien aimé qui ne connaîtra pas leur petit. La nostalgie l'emplit. Chassant de son esprit ce sentiment, elle se concentre sur la naissance de sa progéniture. De nouveau la scission s'opère.

    Constance accouche d'une fille avec trois semaines d'avance. La petite naît sous les trombes d'eau, près du corps inanimé de son père. Et, comme si déjà elle comprend toute la portée de ce qui se passe, elle sort en silence du ventre de sa mère. Constance, le regard totalement absent de ce qui l'entoure, renoue avec les pratiques ancestrales. Elle extirpe le couteau de sa poche et coupe le cordon ombilical, puis elle porte l'enfant à son sein, qui s'y accroche goulûment. Pendant qu'elle l'allaite, elle réfléchit à un prénom à lui donner. Avec Jean ils ont choisi d'attendre la venue de leurs enfants pour les nommer, préférant ainsi accueillir l'inspiration du moment. Il en fut ainsi pour Yodanne leur fils aîné, âgé de huit ans maintenant. Mais là, rien ne vient. Aussi se laisse-t-elle guider par son instinct d'attendre pour recevoir le bon prénom pour sa fille.

    Entourant la nouvelle venue de tout son amour, elle lutte contre les trombes d'eau et les rafales de vent qui ralentissent sa marche, pour aller mettre sa fille à l'abri dans la grotte. Le vent glacial plaque les gouttes de pluie sur son corps. Constance cache la petite dans sa parka et la tient tant bien que mal contre elle, tout en avançant avec difficulté. Ses mains occupées à tenir son enfant, elle ne peut se protéger de la rage des éléments. Le visage piqué à vif par la pluie, elle a la sensation d’être en feu. Elle baisse la tête pour se protéger un minimum, mais l’eau coule le long de sa nuque et provoque une vague de frisson désagréable le long de son échine. Elle sent la petite gémir et frissonner aussi et tente d’accélérer l’allure, mais le sol glissant l’en empêche et elle manque de peu de se retrouver parterre ; parvenant par elle ne sait quel miracle à tenir debout. Alors elle prend son mal en patience et avance plus prudemment. Elle a l’impression que ce chemin vers son antre n'en finira jamais. Quand enfin elle voit se dessiner l’entrée à travers le rideau de pluie, elle ne peut s’empêcher de pousser un soupir de soulagement. En franchissant le cap de l’entrée de la grotte, elle pousse un cri animal de victoire. Elle est frigorifiée, mais n’a pas le temps de s’occuper d’elle.

    « D’abord l’enfant », pense-elle.

    Alors elle prend l'eau qui chauffe en permanence sur le poêle et la mélange à l'eau fraîche de la source, qui arrive en contrebas de leur habitat. Puis elle fait une toilette rudimentaire au nourrisson. Constance agit mécaniquement, l’esprit vide de toutes pensées, le regard lointain. Elle inspecte sa fille, veillant à ce que tout aille bien. Elle vérifie ses réflexes et la réchauffe vigoureusement. Quand elle se sent totalement rassurée sur le bien-être du nourrisson, elle l'entoure de linges doux et moelleux ; puis la confie à Yodanne qui depuis qu’elle a franchit l’entrée de leur abris affiche un air grave, portant déjà en lui la conscience des choses. Yodanne toise sa mère du regard et une lueur de tristesse se grave dans ses yeux tandis qu’il décroche un pâle sourire comme pour les réconforter.

    Pendant que Constance s’occupe de sa fille, sans un mot, il lui prépare des vêtements secs et une tisane pour qu’elle puisse se réchauffer. Il a même sorti une serviette qu’il a posé près du poêle pour qu’elle se sèche. Elle est à deux doigts de partir de la grotte pour aller s’occuper de Jean, quand Yodanne lui tend le linge sec avec détermination. Alors Constance sans un mot s’affaire à se changer et avale la tisane tout aussi silencieusement. Elle s'attarde quelques secondes admirant son fils. Yodanne mesure un mètre quarante pour quarante-six kilos et chausse du quarante et un. Il promet d'être aussi grand et trapu que son père. Ses yeux bleus azur fixent sa mère avec intensité et disent tous les mots qui ne sortent pas de sa bouche. Il comprend la gravité de ce qui vient de se passer, malgré le silence de sa mère. Il ne pleure pas. Il se sent responsable de sa famille, prêt à endosser le relais de son défunt papa pour prendre soin d'elles.

    Constance qui s’était poser sur le fauteuil que son fils lui avait présenté avec fermeté, se lève et enfile une parka sèche. Il est temps de s’activer avant que le peu de courage qu’elle a encore ne la quitte ; alors elle part chercher la pelle dans le cabanon où sont rangés leurs outils de jardin.

    Avant de rejoindre Jean, elle jette un œil la grotte et croisant le regard de Yodanne, elle se décide à briser le silence dans lequel elle s'est installée depuis qu'elle a vu son époux mourir.

    « Prends bien soin d'elle. Elle devrait dormir jusqu'à ce que je revienne, dit-elle d’une voix tremblante n’effleurant même pas le sujet de son père, niant encore son décès.

    - T'inquiète m'man, lui répond Yodanne le regard grave.

    - Si tu as faim avant que je ne rentre, il y a la soupe sur le poêle. Fais attention à toi. Je t'aime mon fils, dit Constance pleine de lassitude.

    - Moi aussi m'man. On va s'en sortir. » lui assure-t-il bravement en la regardant avec compassion, tout en crispant la mâchoire comme pour contenir sa propre douleur.

    Constance sourit faiblement à son fils, elle a les traits tirés, le regard vide, le teint pâle. Elle sent ses entrailles se tordre et ne peux s’éterniser sur cette douleur qui la malmène ; même si comme toute femme qui vient de mettre un enfant au monde elle devrait se reposer. Elle doit se montrer forte devant son fils pour qui elle éprouve un mélange de fierté et de tristesse de le voir ainsi prendre des responsabilités réservées au monde des adultes.

    « C’est encore un gamin et pourtant il agit déjà comme un grand. » se dit-elle mélancolique.

    Elle ne peut réprimer un hoquet de douleur et pour masquer ce moment de faiblesse, elle détourne son regard vers la prairie où l’attend sa lourde tâche. Cela ne fait que renforcer le sentiment d’abattement qui lui opprime le cœur. Constance retient à grande peine les larmes qui ne demandent qu’à couler de nouveau et se dirige brusquement vers son fils. Elle le regarde avec tendresse et le prend dans ses bras en le serrant de toutes ses forces ; elle éternise son étreinte tentant de lui insuffler son amour de mère, puis elle marmonne quelques mot d’excuses et repart vers la clairière le pas lourd.

     

    Malgré son mètre soixante, sa frêle silhouette, Constance donne des coups de pelles vigoureux qui font ressortir les veines de ses bras musclés. À chaque pelletée, elle exhale un son rauque et guttural. La tâche n'est pas facile. La pluie poursuit son martèlement puissant sur la terre détrempée. Même si la pelle s'enfonce aisément, le ruissellement de l'excédent d'eau entraîne avec lui, ce qu'elle a déjà extrait de la dernière demeure de Jean, rebouchant ainsi le trou.

    Les cheveux plaqués sur son visage par la pluie qui ne cesse de tomber, elle creuse de plus en plus en colère. Les larmes qui déferlent de ses yeux n'aident pas à son ouvrage. Régulièrement elle les essuie avec la manche de sa parka, mais cela ne réussit qu'à brouiller encore plus sa vue.

    S'arrêtant quelques secondes, elle regarde le manège de la terre qui retourne dans le trou d'où elle l'a extirpée, comme si elle prenait un malin plaisir à contrecarrer son projet d’enterrer son époux. Constance grogne de mécontentement et commence machinalement à emmener la terre un peu plus loin du trou pour qu'elle ne retombe plus dedans.

    Elle renonce à sécher les larmes, qui se mélangent à l'eau de pluie, dont le flot intarissable coule sur son doux visage. Ses traits sont de plus en plus ravinés par la douleur. Parfois elle repousse une mèche de cheveux qui vient se mettre devant ses yeux. En vain. Agacée elle sort instinctivement un bout de ficelle de sa poche, puis se fait rapidement une queue de cheval. Elle agit par automatisme, le regard vide, où parfois traversent des émotions contradictoires.

    Constance lutte contre les éléments qui semblent se liguer pour compliquer sa tâche.

    « Tu ne trouves pas que s'est assez difficile comme ça ? hurle-t-elle totalement accablé, en levant les yeux au ciel.

    Elle est épuisée et s'octroie une pause, mais les vêtements trempés, plaqués contre son corps, la frigorifient, alors elle reprend son travail ; en poussant un juron.

    La terre se fait de plus en plus lourde tant elle est imprégnée d'eau ; elle reste collée à la pelle et cela devient un véritable calvaire que de creuser cette tombe.

    « Comme si la douleur de la perte de Jean ne suffisait pas ! marmonne-t-elle ; comme s'il fallait en rajouter des couches, pour que cette mort soit encore plus cruelle. Comme si ma souffrance n'était pas assez grande. » se lamente-t-elle éperdu de douleur.

    Constance se focalise sur cette fichue terre qui s'alourdit à chaque pelletée et qui s'accroche à la pelle comme à une bouée de sauvetage. Elle pleure de plus en plus, invectivant les éléments de l'accabler ainsi et d'augmenter sa peine et son labeur. Les muscles de ses bras sont de plus en plus douloureux, ses mains se couvrent de cloques qui ne tardent pas à s'enflammer et à saigner. Elle a envie d'hurler son désespoir ; ses larmes deviennent tellement grosses qu'elle ne voit plus rien du tout.

    Elle est au bord de l'évanouissement, et saigne de plus en plus suite à son accouchement. Son ventre la fait horriblement souffrir. Une peur panique s’empare d’elle en s’imaginant sombrer là auprès de Jean alors que ces deux petits sont livrés à eux-mêmes dans la grotte. Que feront-ils si elle meure maintenant ? Une violente douleur la saisie dans son bas ventre et un flot de sang s’écoule entre ses jambes. Constance pâlie encore plus, s’imaginant le pire. Elle sait que les efforts qu’elle fait pour enterrer Jean ne sont pas préconisés juste après une naissance et connaît les risques pour elle. Pourtant elle n’a pas le choix. Une autre contraction, encore plus violence que la précédente, la saisit et elle sent une autre vague de liquide s’écouler.

    « Si ça continue, je vais y laisser ma peau » se dit-elle prise d’une frayeur incontrôlable en pensant à ses enfants.

    Devant ses yeux des papillons noirs se dessine et elle manque de peu de sombrer ; quand un souffle chaud l'enveloppe. Elle se sent soulevée et totalement enrobée dans une masse duveteuse. Elle a l'impression de flotter dans l'air et se sent ressourcée. Elle se laisse porter par cette agréable torpeur, se demandant si elle n’a pas rejoint Jean de l’autre côté. Tout est si calme tout à coup ; et la douleur dans son ventre ne se fait plus sentir. Elle se sent si bien qu’elle en oublie tout le reste. Lorsqu'elle est complètement apaisée, elle a la sensation que les bras qui l'enveloppaient la repose à terre. Elle reste quelques instants abasourdie par ce qui vient de se passer, se demandant si elle ne venait pas d'avoir une hallucination. Elle doit certainement être entrain de passer l’arme à gauche et ses enfants vont se retrouver orphelins et sans défense. Elle commence à se faire des films se demandant comment ils vont s’en sortir quand de nouveau le souffle chaud l’enveloppe et la rassure sur sa santé. Elle se dit qu’elle est en plein délire ; mais la vigueur qui se dégage maintenant d'elle, lui confirme qu'il s'est réellement passé quelque chose de magique. Alors, elle s'excuse auprès de la terre de l'avoir autant injuriée et recommence à creuser de plus belle. Elle constate que même ses bras et ses mains sont indemnes, comme si elle commençait juste à l'instant son ouvrage. Quant à son ventre, elle a l’impression que tout est rentré dans l’ordre, comme si elle avait accouché depuis plusieurs mois. Elle pousse un soupir de soulagement et se rassure sur l’avenir de ses enfants. Elle sent intuitivement que ça ira pour eux trois.

    À peine terminé de creuser la tombe, qu'elle se dirige vers son mari. Elle tente désespérément de le tirer par les pieds, mais elle ne parvient qu'à peine à le bouger de quelques millimètres. Elle renouvelle l'expérience, ramassant toutes ses forces et ne parvient qu'à tomber à la renverse dans la gadoue. Elle s'enfonce presque littéralement dans la terre et se retrouve recouverte de la tête au pied de boue. En d'autres temps, cela aurait amusé son fils de la voir ainsi toute maculée et elle aurait volontiers rit avec lui. Elle aurait même forcé le jeu en s'en tartinant le visage. Mais là franchement il n'y a pas de quoi rire, loin de là ! Sur ses pensées, elle s’effondre, prise de sanglots devant son impuissance.

    Jean était un homme massif, très grand. Elle lui arrivait aux épaules et paraissait une poupée auprès de lui. Elle s'était toujours sentie en sécurité dans ses bras si tendres, malgré sa puissante morphologie. Comme elle aurait tout donné en cet instant pour se lover une fois de plus contre lui. C'était vraiment un homme extraordinaire et juste, qui connaissait chaque coin et recoin des environs. Il avait un contact avec la nature omniprésent. Elle qui venait de la ville ne connaissait rien de la vie de la campagne et il lui a tout enseigné sur les plantes médicinales, celles qu'on peut manger, les essences des arbres, le contact avec les animaux, la vie des temps lointains...

    « Jean tu me manque tellement » dit-elle entre deux sanglots.

    Un coup de tonnerre la ramène à l'instant présent. Levant les yeux au ciel elle croise le regard d'un vieux cerf qui l'observe avec intensité, son museau à dix centimètres de son nez. Dans ses yeux, elle peut lire toute la compassion qu'il a envers elle. Sa présence est réconfortante et elle se laisse imprégner par lui. Il est majestueux. Ses bois n'en finissent pas. Jamais encore un cerf ne l'avait approché d'aussi près. Jean souvent lui parlait de ses amis de la forêt, dont un vieux cerf généreux. Constance comprend qu'il s'agit de lui. Elle le regarde avec respect et s'incline devant lui. Elle peut voir la puissance de sa musculature, la douceur de son regard, la sagesse qu'il incarne, la connaissance qu'il porte en lui. Elle s'attend presque à ce qu'il lui adresse la parole. Le cerf reste quelques temps auprès d'elle poursuivant cet échange silencieux, puis, lentement, il se dirige vers le corps de Jean. Respectueusement le roi de la forêt baisse la tête, comme pour lui faire ses adieux et, délicatement, il le pousse dans l'immense trou creusé par Constance. Après un dernier regard sur elle, il s'éloigne. Il avance tranquillement comme s'il vénérait dans chacune de ses foulées l'âme de Jean. Constance peut voir chacun de ses muscles en action. Elle est totalement fascinée par cette rencontre. Elle murmure un faible merci pour son aide, le cerf choisit cet instant pour se retourner. Une dernière fois il s'incline face à elle, la regardant intensément avant de disparaître dans les bois.

    Constance reste un moment silencieuse. Agenouillée devant la tombe de Jean elle se laisse encore imprégner par la douce présence du cerf. Le froid qui la gagne de plus en plus, la remet en action. Elle récupère les restes de ses couches, puis place le placenta et le cordon ombilical aux pieds de Jean. Se munissant de nouveau de la pelle, elle s’attelle à reboucher la tombe. Ensuite elle piétine à l’endroit où est enterré Jean, afin de bien tasser la terre, ce qui n'est pas simple tant elle est remplie d'eau et Constance s'englue plus qu'autre chose. Pourtant elle continue presque mécaniquement pour que tout soit au même niveau, la tête vide de toutes pensées. Enfin, elle recule pour voir son œuvre et satisfaite, elle recouvre la tombe de feuillages et de brindilles afin que la sépulture ne soit point visible. Elle agit comme si elle bordait son nourrisson, avec tendresse et application et s'autorise à poser une belle pierre ronde, polie par le temps, qu'elle regarde amoureusement, seul signe distinctif de la dernière demeure de Jean sur Terre.

    Constance se sent vide, incapable d'éprouver de nouveau des émotions. Elle a la sensation que son cœur s'est éteint en même temps que Jean. Le regard dans le néant, elle tente de se raccrocher à ses enfants pour ne pas sombrer. Elle laisse ses yeux errer autour d'elle, quand son regard est attiré par un autre. Le cerf est là, face à elle, les membres solidement ancrés à la terre, le regard ferme lui rappelant ses responsabilités. Alors elle se laisse de nouveau imprégner par sa force pour poursuivre son chemin en remerciant le cerf pour son aide. Dans sa tête elle entend une réponse tellement nette qu'elle s'interroge sur son origine.

    « Jean a toujours été là pour moi, à mon tour de lui rendre la pareille. Je veillerai sur vous. » dit la voix avec douceur.

    Elle se demande si son esprit ne lui joue pas des tours quand de nouveau la voix lui parle.

    « Non, ce n'est pas ton imagination, c'est bien moi le vieux cerf qui te parle. À bientôt. » la voix rauque se fait de nouveau entendre et Constance se demande par quel prodige le cerf parvient à communiquer avec elle. Elle sourit timidement et lui fait un signe de la main en le regardant s'éloigner, puis elle s'adresse à Jean.

    « Puisse ton âme trouver la paix, dit-elle d'une voix monocorde. Ne t'inquiètes pas, ton ami le cerf veille sur nous, continue Constance la voix apaisée par cette affirmation. Je suis vraiment désolée pour cet enterrement rudimentaire et je ne sais même pas pourquoi j'ai tout fait pour cacher ta tombe. C'est complètement ridicule de ma part, poursuit-elle un soupçon de sarcasme dans la voix. Mais que je suis idiote, je sais bien que tu comprends cela sans problème ; et puis quelle importance, continue-t-elle en se moquant d’elle même. Oh Jean comment je vais faire sans toi ? demande-elle tout en retenant les sanglots qui affluent du fond de sa gorge. Merci, merci pour ce que tu as été et tout ce que tu m'as donné. Tu étais le meilleur mari que je puisse rêver et un père merveilleux. Oh Jean, si seulement tu pouvais revenir, si seulement tout cela ne pouvait être qu'un horrible cauchemar. » dit-elle en pleur.

    De nouveau une scission s'opère dans sa tête refusant cette vérité qui lui déchire le cœur. Elle se relève et vérifie qu'il ne reste aucune trace de son passage, se demandant intérieurement pourquoi elle avait ce foutu besoin de tout dissimuler. Était-ce sa façon à elle de rejeter les faits ? Était-ce une forme de déni ? Ses pensées tournoient à une vitesse folle dans sa tête, elle n'arrive même pas à en suivre le court. Malgré tout, elle continue sur sa lancée comme si tous ses agissements étaient normaux et évidents. Œuvrant dans le plus grand silence elle sent un souffle chaud sur son visage et quelqu'un murmurer à ses oreilles. Constance sursaute et regarde autour d'elle. Il n'y a personne. Elle chasse de la main l'idée saugrenue d'avoir entendu quelque chose, se disant que son imagination devait lui jouer des tours. Pourtant, depuis qu'elle est enfant elle perçoit des choses et entend des messages qui se sont toujours avérés répondre à des événements de sa vie. Elle appelle ces voix dans sa tête, les guides. D'ailleurs, même son fils a hérité de ce don. Malgré cela, elle ne s'y habitue pas et vérifie toujours si quelqu'un se trouve près d'elle. La voix s'élève de nouveau, paisible et harmonieuse :

    « Anaïa est importante pour le devenir de l'humanité. C'est la gardienne de la sagesse et un grand destin l'attend. Tu dois impérativement te tenir à l'écart des autres humains. Sa venue au monde doit rester secrète de même que la disparition de Jean. Nul ne doit connaître son existence, même dans le monde magique. » dit-la voix avec une douce fermeté.

    Ainsi donc, inconsciemment elle avait senti les choses ; d'où son comportement qui lui paraissait complètement fou ? Frissonnant de tout son corps Constance retourne à la grotte, pensive. Son pas est lourd. La terre détrempée n'arrange pas son avancée. Une tristesse profonde entaille son cœur. Alors une voix qu'elle reconnaîtrait entre mille s'élève et lui insuffle une force qu'elle ne se connaissait pas.

    « Constance, je suis là auprès de toi. Mon corps physique n'existe plus, mais mon âme, elle, demeure. Sois forte mon ange, la Terre a besoin de toi, de nos enfants. Un jour nous nous retrouverons. En attendant, il te suffit de m'appeler et je viendrai te réconforter. » lui dit Jean avec amour.

    Constance se laisse bercée par la voix de son époux, qui depuis l’au-delà continue à veiller sur elle. Une vague de mélancolie la traverse à l’idée que plus jamais elle ne se serrera tout contre lui. Alors Jean lui fait sentir encore plus fort sa présence et elle a presque l’impression qu’il la serre tout contre lui.

    « Merci mon amour d’être encore auprès de moi » dit-elle tout bas.

    - Je t’aime Constance et je serais toujours là pour toi. » lui répond-il dans un murmure.

    Revigorée elle reprend sa marche d'un pas plus résolu et poursuit son chemin. A peine arrivée elle embrasse chaleureusement ses enfants, la mine un peu plus réjouie et serre la petite contre son cœur.

    « Alors jeune fille, il semble que tu te nommes Anaïa. Bienvenue à toi ma douce enfant. Nous allons faire de notre mieux avec Yodanne pour honorer ton rang. Ton père de là-haut nous soutient. Je ne sais pas si je serais toujours à la hauteur... commence-t-elle une légère inquiétude dans la voix.

    - M'man je suis sûr que tu y arriveras », intervient Yodanne la voix rassurante, tout en la coupant dans son élan de s’apitoyer sur son sort. Puis en regardant sa sœur il l'accueil chaleureusement : « Bonjour petite sœur. J'aime beaucoup ton prénom. On va bien s'occuper de toi, t'inquiètes pas, lui dit-il sur un ton protecteur.

    - Nous allons devoir partir d'ici Yodanne, les guides m'ont demandé de garder la naissance d'Anaïa secrète ; dit-elle apaisée de se savoir si bien entourée malgré la mort de Jean. Rassemble tes affaires ensuite tu te couvriras et tu iras chercher Pignalon, tu l'harnacheras et l'attacheras près de la grotte, continue-telle d’une voix douce et assurée. Pardon de te demander tout cela, mais nous ne sommes plus que tous les trois maintenant, reprend Constance fière de voir son fils aussi courageux.

    - Ça va m'man. C’est OK pour moi ; répond Yodanne calmement. On a pas le choix et il faut bien que quelqu'un t'aide maintenant que papa n'est plus là », termine-t-il en hoquetant et en retenant les larmes qui humidifient ses yeux.

    Constance regarde son fils toujours aussi surprise par sa précocité. Son attitude confirme ses propos ; il a les traits plus détendu que lorsqu'elle est venue la première fois. Certes, elle lit la tristesse qu'il éprouve, dans ses yeux, mais il semble plus posé ; comme si pendant qu'elle était entrain d'enterrer son mari, Yodanne avait mûrit d'un coup. Elle l'enlace et le garde contre elle quelques instants, les larmes aux yeux. Reniflant tout en tentant de retenir le chagrin qui la submerge, elle essuie son nez avec sa manche et se ressaisit du mieux qu'elle peut. Constance serre son fils de tout son cœur et elle perçoit que lui même retient les sanglots qui veulent l'engloutir. Il cache sa tête tout contre sa mère et se laisse aller quelques instants à la douceur maternelle. Peu à peu, le rythme de sa respiration qui s'était accélérée s’apaise et il elle l'entend expirer profondément. Constance le laisse reprendre ses esprits, elle a bien conscience que malgré sa maturité c'est une grande épreuve qu'il traverse tout comme elle et Anaïa ; puis elle écarte son fils en gardant ses mains sur ses épaules et tente un sourire, qu'elle sent être plutôt lamentable. Constance pousse un grand soupire de résignation et se met en marche, il sera toujours temps de faire le deuil le moment venu, pense-elle.

    « Aller pas le temps de lambiner, je m'y remets. » dit-elle vigoureusement.

    Tous deux vaquent à leurs occupations pour préparer le départ. Les bagages prêts, Constance attelle Pignalon à la roulotte et charge les affaires. Ce qu'elle a reçu au sujet d'Anaïa est juste, elle le ressent au plus profond d'elle-même. Aussi en mémoire de Jean, elle continuera de s'occuper de ses enfants comme il se doit, de leur transmettre son savoir. Elle les installe puis les couvre chaudement. Pignalon est un bon cheval, elle sait qu'elle peut compter sur son calme malgré le déchaînement des éléments. Elle confie les rênes à Yodanne pendant qu'elle termine le nettoyage afin que nul ne voit l'ancienne présence de vie humaine dans cet abri et ses alentours. Elle fait un monticule de toutes les affaires qu'ils ne peuvent pas emporter, au milieu de la grotte, y verse un reste d'huile et allume le feu. Quand le brasier est bien enclenché, elle retourne à l'extérieur pour contrôler qu'il ne reste plus trace de leur activité. Elle démolit le cabanon de jardin avec rage et emmène tout le bois dans le feu, puis refait le tour pour vérifier qu'elle n'a rien oublié. Son travail achevé elle jette un dernier coup d’œil à l'intérieur de leur habitat. Elle ne peut empêcher une vague de nostalgie de monter en elle. Elle se revoit avec Jean et Yodanne et de nombreux souvenirs affluent. Elle se laisse emporter par eux, fuyant la dure réalité qui les attend. Quand la voix de Jean s'élève lui apportant le réconfort nécessaire.

    « Je sais que c'est dur Constance et que plus rien ne sera comme avant. Mais n'oublie pas, je suis là tout près de toi. » la rassure-t-il plein d'empathie.

    Constance essuie du revers de la main les larmes qui s'étaient autorisées à sortir, alors qu'elle se remémorait sa vie d'avant et se remet à l'ouvrage. Satisfaite de son œuvre elle rejoint ses enfants ; en passant devant la grotte afin de vérifier l'état du feu. Quasi tout ce qu'elle a mis à brûler est consumé et d'ici quelque temps, il ne restera que des cendres dans lesquelles nul ne pourra remonter leur existence. Elle part donc tranquille, sans se retourner, vers d'autres lieux, loin de toute vie humaine, sous le regard bienveillant du cerf qui les protège à distance. Ainsi commence la vie d'Anaïa. Une vie d'itinérance dans des endroits où seuls les animaux vivent. ; cachée de tous afin que nul ne la connaisse.

     

    * Alanoa *

     

    Les êtres magiques du clan de la lumière, dont Capucine fait partie, ont assisté désemparés aux derniers méfaits de l'ombre sur la Terre. Ils ont tout tenté pour sauver Héléna en utilisant leur magie pour lui ouvrir les yeux ; mais ni ce qu'ils ont fait, ni la visite d'Axide n'a été couronné de succès. Même le Grand Tout n'a pas pu intervenir ! Alors tant bien que mal, ils se résignent à attendre l'arrivée des cinq pour intervenir et inverser le cours des événements.

    Quant à Capucine, elle est inconsolable et sombre dans le désespoir. Malheureusement, plus elle se morfond, plus ses pouvoirs disparaissent. Ses comparses ne savent que faire pour l'aider. Eux qui ne connaissent point le doute sont déconfits ; d'autant que jusqu'à lors, ils étaient persuadés que ce type d'émotions, étaient démoniaques. Ils auraient juré que toutes personnes qui sombraient comme cela, à qui il arrivait moult malheurs, le méritaient. Qu'un tel acharnement du sort, ne pouvait être dû qu'à des forces obscures internes aux individus touchés. Ils étaient convaincus que si le sort se focalisait ainsi sur quelqu'un, c'était dû à un juste retour de manivelle. Mais en voyant les limbes dans lesquels Capucine plonge, ils prennent une bonne claque ; les obligeant à revoir leur façon de voir les choses.

    Ils connaissent tous Capucine et savent qu'elle a toujours œuvré pour le bien, comme sa sœur jusqu'à lors. Et ils ont été témoins des événements. Ils ne peuvent donc pas nier l'évidence : Capucine n'est pas responsable de ce qui lui arrive ! Ce n'est pas de sa faute si elle se sent si mal et c'est bien compréhensible qu'elle soit affecté de la sorte. En même temps qu'ils prennent conscience de leur erreurs, ils réalisent qu'en fait les jumelles sont victimes des plans monstrueux de Génard.

    Le clan de la lumière se rend compte qu'il a du pain sur la planche ; car il lui faut maintenant essayer d'aider Capucine à remonter la pente, et il ne sait absolument pas comment s'y prendre...

     

    *

    Héléna a laissé la haine l'envahir ; et grâce à cela, Génard a pu ensemencer son cœur de noirceur. Ce qui fut fait lorsque l’obscurité tomba sur la Terre. Héléna ensevelit sous les manipulations des démons, s'est laissé emporté en enfer entraînant avec elle l’humanité. C'est son rire à déchirer les âmes qui a traversé la planète ce jour-là, avant que le soleil ne réapparaisse.

    C'est ainsi que tout a commencé et qu'Héléna, oubliant ses origines, s'est mélangé au flot des humains. Elle ne garde de son ancienne vie que son prénom. Son apparence change, ses ailes ainsi que sa beauté disparaissent. Elle, qui avant tous ces changements, arborait du haut de son mètre quatre-vingt quelques rondeurs dont elle était fière, devient sèche. Ses os transparaissent sous sa peau quasi transparente.

    Héléna se regarde dans le miroir, les yeux démoniaques, et ricane à la pensée de ce qu’elle disait au sujet de ses rondeurs : « Elles sont la manifestation de l’amour qui déborde de mon cœur »

    « Comment ai-je pu être aussi mièvre ? » se dit-elle avec cynisme.

    Avant sa métamorphose ses yeux en forme d'amande étaient d’un vert délicat, ourlés de longs cils noirs qui renforçaient la beauté de son regard, ils s’harmonisaient parfaitement avec sa longue et souple chevelure auburn. Ses tâches de rousseurs lui donnaient un air enfantin. Du reste Capucine était la réplique parfaite d’Héléna. Elles étaient jumelles jusqu’au grain de beauté qui orne le lobe de leur oreille droite. À l’époque où elles étaient encore unies, seul leur caractère pouvait les différencier. Si Héléna était volubile et déterminée ; Capucine, elle, restait en retrait ; seule l'injustice la rendait hargneuse et tant qu'elle n'avait pas rétablit l'ordre, elle était imperturbable. Enfin cela, c'était avant que sa jumelle ne la châtie de sa vie.

    Héléna a teint ses cheveux en noir. Son visage maintenant émacié, son regard noircit par la colère et son besoin de vengeance, vont bien de pair avec son relookage. Parce qu’elle est convaincue que Capucine a assassiné l’homme qu'elle aimait, Génard a pu a pu rayer de sa mémoire son ancienne vie de fée. Héléna se sert maintenant de ses dons pour semer la discorde. Elle a une soudaine boulimie de pouvoir et d’argent, dans le seul but de faire disparaître la magie.

    La fée, ancienne membre du clan de la lumière, sait que pour parvenir à vivre sur Terre, les êtres magiques ont besoin qu'un grand nombre d'Hommes croient en eux. Dominer les humains est donc pour elle le meilleur moyen de faire disparaître ses anciens alliés de la planète bleue.

    Même la promesse faite à ses parents, Luny et Madeline, quelques centaines d’années auparavant est au rang des oubliettes tant son cœur est obscurci.

     

    * Vincent *

     

    Nous avons appris que les fées ont une espérance de vie de plusieurs millénaires, une de leur année correspond à un siècle pour nous. Les jumelles sont nées un beau matin de l’an 2023 avant Jésus-Christ, le sept décembre exactement à 11h11. Elles entament en cette année deux-mille-douze leur quarante et unième année ; c'est à dire quatre-mille trente-cinq années terrestre !

    Il est aussi important de vous informer que Génard comme le Grand-Tout, peuvent agir sur tous les plans grâce à leurs dons d'ubiquité. Ils ne sont pas « dupliqués » comme nous, explique-t-il très déterminé à transmettre le maximum d’informations pour venir à bout du démon.

    C'est uniquement pour cela que le démon a créé les univers parallèles. Ainsi, il se fait la main sur notre système solaire pour anticiper vos réactions et agir en conséquence, pour être sûr de vous exterminer. Seulement Génard pensait que ces autres Univers qu'il a créé seraient juste des laboratoires expérimentaux et qu'il pourrait les faire disparaître après ses recherches. Mais, il s'est trompé ! Nous sommes peut-être des « clones » conçus pour voir nos réactions, pour autant nous sommes bien des êtres à part entière, et il est hors de question pour nous de voir les plan de ce monstre aboutir ! Maintenant que nous existons, nous comptons bien profiter de la vie au maximum. Ce n'est pas parce que nous sommes, selon lui des cobayes, que nous ne pouvons pas interagir pour faire capoter ses plans. Cet imbécile de démon pensait qu'il pourrait nous manipuler facilement sans que l'on s'en aperçoive puis détruire sa création ; c'était sans compter sur le Grand-Tout et sur les lois scientifiques, explique Vincent satisfait que Génard finalement se trouve prit à son propre piège. Ce con de démon a oublié une règle fondamentale, dit-il avec ironie : « Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme ». Ce qui veut dire que quelque part nous existions déjà et maintenant que nous sommes là, bien en chair et en os, nous avons bien l'intention d'y rester, termine-t-il avec ténacité.

     

    * Alanoa *

     

    Revenons à la promesse des jumelles faite dans de bien tristes circonstances :

    Tout s'est passé lors d'un des innombrables combats entre les deux clans. Comme à leur habitude, Luny et Madeline, les rois et reines des fées, guerroyaient auprès de leurs troupes. Mais la différence, c'est que ce jour là, Héléna et Capucine étaient à leur côté ; et comme il s'agissait de leur première bataille, la couple royal était préoccupé pour la vie de leurs filles. À cause de cela, ça a été un des conflits les plus courtes de l’histoire, et pour cause !

    En effet, Luny et Madeline se sont fait piéger en beauté. En un rien de temps, ils se sont effondrés, comme un seul corps ! Quand les filles ont vu leurs parents succomber ainsi, elles se sont précipitées vers eux. Et sincèrement, nous avons tous eu peur de les perdre, car elles ne faisaient même plus attention aux attaques des démons ; mais il faut croire que ce jour là, elles n'étaient pas la proie du clan de l'ombre, car rien ne leur est arrivé !

    Les jumelles n'avait pas encore atteint leurs parents que deux xyloniens, Oulanda et Anori, se sont matérialisés devant eux. Le sang n'a fait qu'un tour dans les veines des filles car elles savaient que si les xyloniens venaient, l'heure était grave. Très vite la famille royale a été téléporté dans leur demeure pour les mettre en sécurité et soigner le roi et la reine.

    Les xyloniens sont les meilleurs guérisseurs du monde magique ; et ils ont tout mit en œuvre pour sauver le couple. Mais cela a été peine perdue. Luny et Madeline étaient condamnés. Oulanda et Anori n’ont pas tout de suite compris pourquoi leurs soins étaient inefficaces, et ils ont poursuivit leurs recherches pour comprendre les raisons de leur échec et voir s’il y avait un moyen de guérir les parents des jumelles. C'est ainsi qu'ils ont découvert que le sort jeté sur Luny et Madeline était irréversible ; et que tous leurs pouvoirs ne changeraient rien à cette triste issue.

    Plusieurs démons parmi les plus puissants, dont Génard, s’étaient unis, constatant le manque de vigilance du couple, pour jeter le sort de l’Auguenande. Ce sort ne fonctionnait que s’il était lancé simultanément sur le roi et la reine des fées par trois démons.

     

    On en a conclut que Génard avait certainement fait appel à sa voyance, et dû voir dans les yeux des crapauds la faiblesse de Luny et Madeline ; car l’Auguenande ne pouvait être utilisé qu’une fois tous les deux milles ans, qu’il ait atteint ou non sa cible !

     

    Ayant découvert les raisons de l'inefficacité de leurs soins, Oulanda très attristé s’est dirigé vers Madeline et Luny pour leur annoncer la mauvaise nouvelle.

    « Je suis désolé, nous ne pouvons malheureusement rien faire, avait-il dit tristement. Vous avez été frappé par l'Auguenande et tu connais aussi bien que moi l'issue inéluctable de ce sort. » avait-il conclut d’une voix blanche.

    Malgré son teint crayeux, sous l'effet du sort mortel qui l'avait atteinte, Madeline n'en gardait pas moins toute sa beauté. De taille moyenne, très menue, les yeux bleus, la chevelure dorée, elle s'étonnait toujours en pensant à ses filles ; qu'elles n'eurent point de ressemblance avec leurs parents. Ces dernières étaient le portrait craché de Florane, leur arrière-grand-mère paternelle. Même leur père dont les yeux étaient foncés comme la nuit, arborait une chevelure noire corbeau et ne dépassait pas le mètre soixante-quinze.

    Madeline a plongé son regard dans celui d'Oulanda ; elle savait voir son ami pour la dernière fois, aussi prit-elle le temps de l'admirer avant de lui répondre.

    Oulanda ; comme tous les habitants de la planète Xylon ; a plusieurs dons : télépathie, claire-audience, clairvoyance, guérison... et peut voyager facilement au travers l’espace-temps, faisant fi des distorsions physiques inhérentes à ce phénomène. Ces êtres luminescents de couleur indigo revêtent quelque différences par rapport à nous ; ils ont les pieds et les mains palmés et sont dotés de deux systèmes respiratoires qui leur permettent de vivre aussi bien dans l’eau que sur la terre ferme, leurs narines sont comme celles des poissons ; de plus à l’emplacement des oreilles, ils ont des opercules qui protègent leurs ouïes. Ils sont aussi dotés d’un troisième œil correspondant à l’emplacement du chakra du même nom chez les humains.

    Madeline a rassemblé toutes ses forces et sourit à Oulanda, puis d'une voix faible et lointaine, elle a prit la parole :

    « Je n'ai peur ni pour Luny ni pour moi. Mais pour nos filles. Que vont-elles devenir ? S'est-elle inquiété, alors qu'elle savait sa fin imminente.

    - Je te promets de rester auprès d’elles autant qu’il le faudra, a répondu Oulanda avec bienveillance.

    - Je ne puis accepter Oulanda, a répliqué la reine le plus fermement possible malgré sa faiblesse. Ton cœur est grand et vous nous êtes d’un immense secours. Mais si tu restes, tu mourras. Ce n'est pas une solution envisageable ! a-t-elle continué sur un ton qui était sans appel. Il faut trouver une solution qui soit viable pour tout le monde. »

    Oulanda était bien obligé de se ranger de l'avis de Madeline, car même si les xyloniens peuvent s’adapter à la vie terrienne quelques temps, l'atmosphère terrestre ne leur convient pas. En effet, Xylon est composée de quatre-vingt-dix pour cent d’eau d’une rare pureté et ses habitants vivent essentiellement en milieu aquatique. Madeline savait qu'Oulanda ne survivrait pas longtemps sur Terre. Elle reprend la parole avec difficulté :

    « Ton peuple se sacrifie suffisamment en se rendant mortel par le simple fait de quitter sa planète pour nous venir en aide, reprend-elle la voix faible. Je sais que de naissance vous êtes immortels et que vous réduisez considérablement votre espérance de vie et c'est tout à votre honneur, dit-elle d'un ton admiratif. Mais même nous les fées, qui sommes mortelles, vivons plus longtemps que ceux d'entre vous qui viennent au secours des autres peuples ! Et c'est peu dire quand on sait que du coup vous n'avez que cinq milles ans à vivre à cause de ça !

    - Tu as raison Madeline. C'est ce qui nous limite dans l'exploration de l'univers. En plus, nous ne pouvons pas passer plus de trois-cent trente-trois jours en dehors de Xylon, sinon nous mourrons bien avant l'échéance. Et j'ai bien entamé mon capital de ce côté là ! convient Oulanda gravement, tout en combattant le chagrin qui l'assaille de voir son amie dans cette état.

    - Oui, c'est bien ce qui me tracasse dit-elle d'une voix tremblante. Tu t'imagines bien que lorsque les filles vous ont vu, elles ont été choqué. Nous savons tous qu'à cause des risques qu vous encourez, vous n'intervenez qu'en cas d'extrême nécessité ; continue-t-elle vaillamment.

    - Mais jamais je n'aurais imaginer que ce serait pour vous voir partir, toi et ton mari ; répond Oulanda malheureux comme la pierre. Vos visites sur notre planète nous manqueront, affirme-t-il nostalgique. J'aurai tellement aimé pouvoir vous sauver tous les deux ! dit-il très affecté par la mort imminente de ses amis.

    - Oulanda, le temps nous est compté, dit Madeline dont la voix est de plus en plus éteinte. Que penses-tu de Xsanda ? Avec Luny, nous avons toujours pensé à lui au cas où il nous arriverait quelque chose ; termine-t-elle épuisée par l'effort.

    - Vous ne pouviez pas mieux choisir ! » affirme Oulanda soulagé de savoir que les jumelles seront entre de bonnes mains.

    C’est ainsi qu’avant de s’éteindre Madeline et Luny ont confié la régence du trône et l'éducation de leurs filles à Xsanda. Ensuite ils se sont entretenu avec les jumelles pour leur faire promettre de rester toujours unies et de garder en tête ce pourquoi les fées étaient sur Terre. Capucine et Héléna avaient juré de rester soudées quoi qu'il advienne.

    Malheureusement ce que la mort de leurs parents n’avait pas réussi à faire, la perte de celui à qui Héléna avait donné son amour y est parvenu et c'est ainsi qu'elle a renié sa sœur comme vous le savez maintenant. Mais reprenons le court des éventements :

     

    *

    Les xyloniens depuis leur planète veille aux événements qui ont lieu sur terre et tout en regardant sa femme et ses enfants s’ébattre dans l’eau cristalline, jouant avec les dauphins ; Oulanda, assis sur un petit îlot où poussent des fleurs de toutes les couleurs, est très préoccupé.

    Les xyloniens vivent en parfaite union avec leur environnement. Ce qui leur permet de pouvoir s’amuser avec tous les êtres vivants qui habitent leur planète. Cette cohabitation est possible grâce à leur seule source de subsistance ; puisqu'ils la puisent dans l'énergie environnante.

    Xylon est une planète magnifique qui accueille une grande diversité d’animaux aquatiques. Oulanda aime tout particulièrement les poissons eydoniens. Ce sont des poissons de grande taille qui mesurent plus d'un mètre cinquante, certains pouvant atteindre jusqu’à deux mètres dix. Ces poissons ressemblent aux poissons arc-en-ciel vivant sur Terre, en bien plus grand et sont très sociables. Il n’est pas rare de les voir se joindre aux jeux des dauphins et des xyloniens. Dans les eaux de Xylon vivent aussi des sirènes qui ont dû quitter les eaux trop polluées de la Terre pour pouvoir survivre.

    Les dix pour cent du territoire qui ne sont pas recouverts d'eau, sont constitués de petites îles où l’on trouve à profusion des fleurs rivalisant de beauté les unes avec les autres, quelques arbres aux feuilles d’or qui scintillent et se miroitent avec délicatesse sur les eaux paisibles. Nombre d'oiseaux multicolores vivent dans cette végétation et se nourrissent exclusivement de baies issues des petits arbustes qui poussent de-ci de-là.

    Xylon est une planète invisible ; seuls ceux qui sont choisis par les xyloniens peuvent la voir. Grâce à cela même Génard ne peut les atteindre ni les voir dans ses prédictions, même s'il a connaissance de ce peuple.

    Oulanda est heureux de sa vie. Mais les événements qui ont lieu sur Terre le remplissent d’inquiétude, l’empêchant de profiter pleinement de toutes ces joies. Il sait, comme tous les xyloniens, ce qu’implique le passage du cap de l’an 2012 sur Terre. Il connaît l’impact de la discorde entre les sœurs. La prédiction d’Aurore est en route et malheureusement cela remet non seulement en cause l’avenir des terriens, mais aussi celui de bien d’autres planètes. Il ne peut s'abstenir de penser à ses jumelles et de faire le parallèle avec les jeunes fées. Il ne sait pas comment il réagirait c’était ses propres filles qui se retrouvaient dans cette situation. D'autant que dans son peuple, il est très rarissime de donner naissance à des jumeaux et encore plus à des filles. Certes, cet état de fait empêche la surpopulation, ce qui n'est pas plus mal, se dit-il quand on voit les problèmes que cela cause sur les planètes concernées par cette question ; mais cela leur pose aussi un gros soucis quant à la continuité de leur peuple. Et même si c'est une ethnie qui ne connaît pas le sexisme, les rares femmes de leur planète restent toujours sur Xylon afin que leur race ne s'éteigne pas.

    Tout à ses pensées, il n'entend pas Anori qui vient le rejoindre. Son air grave ne fait que confirmer ses craintes. Anori lui transmet les dernières images qu’il a reçues concernant les actes d’Héléna. Oulanda est atterré car il sait qu’il ne peut actuellement intervenir d’aucune manière. Il laisse à contrecœur sa petite famille et se téléporte avec Anori dans leur ville sous-marine où les xyloniens doivent se réunir pour se préparer à leur future intervention quand le moment sera venu.

    Une muraille de coraux d’une magnificence extraordinaire forme un cercle autour des habitations des xyloniens. Les maisons sont faites avec d’immenses coquillages dont les mollusques ont disparu depuis déjà des millénaires, ne laissant derrière eux que leur squelette externe qui pourvoient parfaitement aux besoins des habitants de la planète Xylon.

    Ténatol le plus ancien des xyloniens, les attend devant la muraille, le regard soucieux.

    « Cela n'est pas de bon présage » ; cogite Oulanda en le voyant ainsi préoccupé.

    - Ténatol le regarde attentivement et hoche de la tête, comme pour confirmer ses pensées. Il passe ses bras autour des épaules des deux xyloniens qui viennent de le rejoindre et tout en se dirigeant vers le lieu où se déroule l'assemblée, il s'adresse à Oulanda ; commentant les dernières actions d’Héléna.

    « Oulanda je ne peux que confirmer tes craintes. Nous ne pouvons, pour le moment, entreprendre aucune action pour inverser le processus lancé par Génard ; dit-il d’une voix profonde. Il a réussi à séparer les sœurs, poursuit-il tristement. Héléna est indubitablement une des leurs. Nous devons nous préparer aux événements à venir. »

    Parvenu parmi leurs congénères les trois compères s'installent et ouvrent les pourparler :

    « Afin de nous préparer au mieux, je souhaite que chacun me donne le nombre de jours qu’il a déjà passé à l’extérieur de Xylon ; commence Ténatol tendu. Nous devons constituer les équipes pour un séjour prochain sur Terre, dit-il d’une voix pondérée. Je ne vous cache pas que la partie va être serrée et que nous risquons de connaître beaucoup de perte parmi les nôtres. Alors avant de vous enrôler, réfléchissez bien aux conséquences de votre engagement ; annonce-t-il d'une voix lugubre.

    - Ceux qui ont passés trop de jours sur les autres planètes resteront à s'occuper des enfants, ajoute Anori avec fermeté. Nous ne pouvons pas nous permettre de voir l'un des nôtres mourir de manière absurde ; la continuité de notre peuple en dépend. Nous aurons déjà de la chance si nous revenons tous vivants, au vu de ce que vient de nous dire Ténatol ; poursuit-il avec gravité.

    Ténatol acquiesce. En effet, les xyloniens qui voient leur immoralité réduite à une grande longévité dès qu’ils quittent leur planète ont aussi un grand problème : les femmes ne peuvent avoir que deux enfants durant leur longue vie et leur peuple ne compte pas plus d’une centaine de mille de xyloniens tout âge confondus ; dont à peine trente-mille femme. Ainsi tous les hommes de leur espèces n'ont pas la chance d'avoir une compagne durant leur longue vie. Même si les xyloniens sont fidèles à leurs partenaires et restent ensemble jusqu'à la disparition d'un des deux ; pour éviter des problèmes de consanguinité ; les couples sont formés avant même leur naissance. Enfin, pour ainsi dire, car les xyloniens veillent à ne pas se reproduire entre même lignée, ce qui laisse tout de même une certaine amplitude quant au choix de son conjoint. Et jusqu'à lors aucun ne s'est plaint, car à tout les coups, l'amour est au rendez-vous.

    Ténatol déterminé regarde les siens et reprend la parole ; afin d'organiser les prochaines expéditions :

    « Lorsque les cinq feront leur apparition dix d'entre vous partiront ; explique-t-il. Anori, Oulanda, vous partirez vous aussi avec les dix premiers, dit-il énergiquement. Nous allons continuer à superviser les actions d’Héléna. En même temps nous surveillerons l’évolution des cinq dès leur naissance, continu-t-il dans sa lancée. Oulanda tu désigneras ceux des nôtres qui protégeront les cinq lors de leur arrivée. Il est essentiel de ne pas attirer l’attention d’Héléna. L'idéal serait de les veiller de notre planète. Nous n'interviendrons que si un des enfants est en danger, termine-t-il avec sagesse.

    - Entendu Ténatol », répond Oulanda très respectueux de l’ancien, avant de poser une dernière question, « As-tu idée d’où les cinq vont apparaître ?

    - Oui. Je connais les lieux où ils viendront au monde. Mais je n’ai pas de précision quant à la date exacte de leur naissance. Nous devrons certainement jouer avec le temps pour réaliser la prophétie… » commente Ténatol avec une pointe d’inquiétude dans la voix.

    Chacun sait sur Xylon que de l'intervention de ces enfants d'humains dépend aussi l'avenir de leur planète comme celui du multivers. Pourtant même si actuellement la situation est très critique sur Terre cette révélation rassure tout le monde.

     

    * Vincent *

     

    Nos scientifiques terriens, tout particulièrement ceux qui étudient l’astrophysique ont déjà fait de grandes découvertes quant à l'évolution de l'univers, ils ont même mis en évidence l’existence de multivers, ce dont vos scientifiques commencent à parler. Ils ont pu ainsi mesurer l’expansion et étudier nombre des constituants qui les englobent, comme les supernovas. Récemment, ils ont découvert les univers parallèles et ont vu qu'ils étaient nés depuis peu sur l’échelle du temps. Même si leurs découvertes vont de plus en plus loin depuis le big-bang jusqu'à nos jours, repoussant inlassablement les limites de la connaissance, dénouant peu à peu certains mystères, cela les laisse très perplexes. Ils se demandent encore comment il est possible que des univers parallèles aient pu se former, d’autant que cela ne rentre pas dans leurs bases de calculs.

    Ainsi dans notre monde existe une grande polémique entre nous qui savons et ceux qui refusent de voir l’existence de d’autres formes de vie. A cause de leur refus de voir, il est une constante que nos experts n'ont pas encore mit en évidence et qui aurait pu tout changer ; celle-là même qui motive les actes de Génard !

     

    * Alanoa *

     

    Nous sommes en 2015 et ça fait déjà trois ans que le combat dans les grottes a pris fin. Génard voit Héléna agir de manière étrange. Il n'a pas imaginé jusqu'où irait sa réaction face à la douleur de perdre son amour. Il n'y connaît rien, lui, dans les sentiments. Tout ce qui le réjouit, c'est de voir se répandre le chaos, la violence, les guerres, l'horreur. Car cela nourrit l'expansion. Malgré tout, l'horizon lui semble prometteur. Les actes de la fée encore plus.

     

    Héléna s'installe en Amérique et progressivement elle se fond dans la masse humaine. Elle fomente des troubles de plus en plus immondes tirant les ficelles des institutions secrètes. Attentats, guérillas, accidents se succèdent à une vitesse vertigineuse pour entretenir une ambiance de peur ; tandis que face au public elle se fait porte-parole des peuples persécutés. Héléna manipule tellement bien qu’elle devient une effigie de grand renom.

     


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    Puisse la paix intérieur vous imprégner,

    Puisse la lumière vous inspirer.

    Et faire face à ce qui vient. »

     

     

    « Tous les possibles existent

    Même ceux que l’on ne voit pas.»

     

     

    « La force est dans votre esprit »

     

     

    PARTIE I : PÉNOMBRE

    CHAPITRE I : LE CHOIX

     

    « Si vous écoutez cet enregistrement, cela signifie que notre mission est couronnée de succès, du moins je l'espère. Je m'appelle Vincent et je fais partie de la résistance qui lutte pour retrouver la liberté sur notre Terre, commente Vincent qui affiche une expression décidé, le menton relevé et les main posées sur ses hanches.

    Nous vivons dans un univers parallèle au vôtre et tout y est presque à l'identique ; à l'exception de l'espace-temps et du déroulement des événements. C'est ainsi que, sur notre planète Terre, nous sommes en l’an deux-mille-cinquante-deux. Pour vous donner une idée, sur votre espace-temps quand nous vous enregistrons ce message vous êtes en deux-mille-dix. Je ne sais pas combien de temps la capsule contenant ces informations aura erré dans l'espace avant que vous ne la trouviez ; alors retenez cette différence pour vous repérer : nous avons quarante-deux ans d'écart entre votre système solaire et le notre ; explique-t-il consciencieux.

    Nous espérons que notre témoignage arrivera jusqu’à vous dans les temps, de sorte que vous puissiez agir en conséquence des événements à venir sur votre planète ; poursuit-il d'une voix alarmante.

    Chez nous un grand fléau sévit et vous menace aussi. C'est pour cela, qu'avec d'autres membres de la résistance, nous avons mis tout en œuvre pour vous faire parvenir ce message, dit-il avec détermination.

    Grâce à des aides extérieures, nous avons réussis à ouvrir une faille spatio-temporelle, que nous espérons pouvoir bientôt utiliser pour vous venir en aide ; dit-il sur un ton triomphale en même temps que son visage se déride et qu'un sourire vient éclaircir son côté sérieux. Regardez attentivement tous les témoignages que nous avons réunis, ils vous seront très utiles pour mettre en place une stratégie contre les plans impitoyables de Génard. » Vincent fait une petite pause, attrape sa bouteille et avale une gorgée d'eau avant de reprendre.

    « J'imagine que vous vous demandez qui est ce sale type ; il s'agit d'un démon qui, comme tous ses semblables, a pour objectif de faire régner l'ombre sur le multivers, dit-il d’une voix amère. Un de plus me direz vous. Exactement, et comme tous les autres s'il y parvient tout sera engloutit, affirme-t-il d'une voix dure et caustique. Pour ceux qui ne croit pas en ces êtres, sachez qu’ils sont partout et qu’ils nous trompent quotidiennement avec leur aspect humain. Ils apportent le chaos et la destruction et pire encore, ils menacent la vie tout simplement » ; continue-t-il sur un ton où résonne toute la gravité de ce qui arrive.

    Au travers de ses propos, Vincent met toute son énergie pour persuader quiconque trouverait ce rapport. Au fur et à mesure de ses allégations, de nouveau ses traits se ferment ; la mâchoire crispée, il reprend :

    « Dans notre espace-temps, Génard est proche du but, nous n’avons pas réussis à contrer toutes ces attaques ; et il s'apprête à développer sa stratégie sur votre univers. Vous êtes notre seule chance et vous avez la possibilité en vous sauvant, de nous sauver aussi ; » explique-t-il sur un ton emplit d'espérance en même temps que l'on peut lire sur lui un mélange d'émotions, passant par le découragement, le fatalisme et l'espoir.

    « En effet, nous avons découvert que notre univers lui a servit de base d'entraînement. Il a observé toutes nos réactions et tous nos moyens de défenses pour s'assurer une victoire sur votre univers ! expose-t-il une expression de dégoût sur le visage. Afin que vous puissiez mettre en place des stratégies de défense qui soient appropriées, les témoignages qui suivent sont très précis ; chaque détail compte ; et nous espérons que vous les recevrez avant 2011, sinon il faudra vous adapter à l’époque où vous vous trouvez ; » dit Vincent plein de fougue, en même temps que la vague d'inquiétude que l'on pouvait voir sur lui s’efface pour laisser la place à la détermination qui le caractérise de manière générale.

    Vincent est un jeune homme très impliqué dans la lutte contre Génard. Il a reprit le flambeau de son père ; tué lors d'un raid pour sauver un des leurs ; alors qu'il avait à peine quinze ans. Aujourd'hui âgé de vingt-cinq ans, Vincent porte sur le corps les cicatrices de ses luttes acharnées contre le démon. Une lui traverse le torse de part en part et l'autre se situe juste au-dessous de son arcade sourcilière droite.

    Son père était un homme très sage et il a toujours enseigné à Vincent que la vengeance était mauvaise conseillère. Il lui a appris que dans tous combats, même ceux que l'on ne choisissait pas, il y avait des pertes. Que si l'un deux mourrait ou l'un de leur proche, il ne fallait surtout pas chercher à châtier le ou les coupables ; mais plutôt continuer à se battre pour la cause. Certes, Vincent malgré les conseils avisés de son père a eu très envie d'écrabouiller Génard et ses acolytes tant il souffrait de l'avoir perdu. Il a pris de gros risques et la seule chose qu'il a récolté ce sont ses deux cicatrices ; il a même faillit faire capoter toute une opération avec ses bêtises de besoin de vendetta. Depuis Vincent a compris les enseignements de son père et il est devenu un des meilleurs combattant.

    Avec son mètre soixante-douze et ses soixante-quinze kilos, tout en muscle, il est plutôt bel homme. Brun au yeux marron, le visage carré, sa barbe de quelques jours lui donne un peu plus que son âge. Dans son regard perce toute sa volonté à voir le mal s'éteindre et de transmettre son message coûte que coûte au prix même de sa vie. Toujours aussi enflammé, quand il développe ses propos, on pourrait presque croire qu'il se prépare à l'action tant tout ses muscles sont tendus, près au départ.

    « Même si tout a déjà commencé sur votre Terre, gardez l'esprit ouvert ! Nous sommes persuadés qu’en alliant nos forces, nous pourrons encore empêcher le démon de tout réduire à néant ; énonce-t-il avec conviction. Quant à ceux qui crois que les humains sont les seuls êtres évolués dans les univers, ils ont intérêt à changer rapidement leur système de croyance s'ils veulent vivre ; car vous aurez besoin des êtres magiques et des peuples des autres planètes pour lutter contre ce démon ; met-il en garde le regard anxieux. C'est grâce à eux que nous avons pu résister jusque là ; et à Capucine, une fée, qui nous a expliqué comment on en est arrivé là ; » explique-t-il d'une voix lointaine, comme s'il revivait les situations en même temps qu'il les expliquait.

    Le regard vague dévoile à quel point il est bouleversé. Il se ressaisit très vite et reprend la voix hésitante :

    « Les faits remontent a plusieurs décennies pour notre système solaire ; tout à débuté quand la sœur jumelle de Capucine, Héléna, a sombré du côté obscur » ; lâche-t-il une pointe d'amertume dans la voix.

    Vincent fait une petite pause, retenant une larme qui pointe à l'orée de son œil, repensant à toutes les pertes humaines et à son père mort au combat depuis l'arrivée de ce fléau ; il se détourne légèrement et la gomme le plus discrètement possible d'un revers de main. La gorge sèche, il avale plusieurs gorgée d'eau. Il tente de reprendre contenance, puis d'une voix plus sèche qu'il ne le voudrait, il reprend :

    « Depuis, qu'elle est du côté démoniaque, Héléna, en prenant le contrôle de notre humanité, a bouleversé notre monde tel que nous le connaissions. Selon Capucine, c'est la première fois de toute l'histoire des univers, que le monde magique s'est accaparé le fonctionnement total d'une planète ! » annonce-t-il l'air sombre. Une fois de plus, il s'égare dans ses pensées et placarde une tristesse qui en dit long sur les épreuves qu'il a traversées.

    « Vous qui avez trouvé notre enregistrement, j'espère de tout cœur que vous êtes du bon côté et que vous pourrez faire quelque chose » ; déclare-t-il avec appréhension le timbre de sa voix voilé par le chagrin.

    Les craintes de Vincent sont plus que fondées : si jamais ce film tombait entre les mains de Génard, tout espoir de le vaincre serait anéantit. Vincent se morigène intérieurement de ces vagues déferlantes d'émotions qui le parcourent, alors qu'il y a bien plus important que sa petite personne.

    « Il sera bien temps de faire les deuils quand tout ça sera finit ; se dit-il. Je dois absolument me ressaisir et transmettre ce message le plus rigoureusement possible. On est pas au ciné et j'ai pas le temps de m'amuser à faire plusieurs prises pour masquer mes sentiments. »

    Vincent s'invective ainsi pendant quelques secondes qui lui semblent durer une éternité. Il a honte de laisser ainsi ses émotions prendre le dessus. Il ne pensait pas que ce serait si dure de transmettre toutes ces informations et ainsi revivre tous ces événements douloureux. Plus dure que le combat lui-même.

    « Comme quoi, quand on est dans le feu de l'action on ne réalise pas tout ce que l'on vit. L'adrénaline a du bon finalement, sinon je ferais un piètre combattant. » pense-t-il.

    Les secondes qui s’égrainent ; alors qu'il est parcourut par un florilège de ressentis ; voient son corps exprimer ses positions à son égard. Ses épaules voûtées se redressent peu à peu, son torse prend de l'ampleur et se bombe à mesure qu'il reprend du poil de la bête. Ses yeux blafards s'animent de nouveau et affiche avec fierté la détermination qui l'anime à mener sa mission à bien. Alors d'une voix posée et sûre il repend la parole :

    « Faites tourner cet enregistrement avec vigilance, car les troupes d'Héléna ont infiltrées de nombreuses organisations ; prévient-il avec circonspection. Chacun doit se préparer pour les temps à venir. C'est Alanoa, une cousine des jumelles, qui vous racontera tout ce qui s'est passé du côté des êtres magiques. Pour ma part, j'interviendrais avec quelques autres pour vous donner les éléments nécessaires concernant les humains et les peuples extra-terriens. » conclut-il très sérieusement tout en laissant place à Alanoa qui apparaît sur l'écran.

    C'est une petite fée d'à peine un mètre soixante, toute rondouillarde. Elle a le teint rose et les yeux verts qui pétillent malgré la gravité des événements ; comme si cela faisait partie de son physique. Les cheveux roses, courts et frisottants ; on pourrait dire qu'elle est toute craquante. Son aspect physique de premier abord enlèverait limite toute méfiance quant aux temps obscurs qu'annonçaient juste avant Vincent ; si ce n'était les cernes sous ses yeux qui virent au noires, marquant le visage d'Alanoa et les pâtes d'oie qui ornent son visage alors qu'elle a à peine vingt ans.

    Lorsque la jeune fée commence son récit, le ton grave de sa voix ne laisse plus de doute quant au sérieux de la situation.

    * Alanoa *

     

    Pour comprendre comment Héléna en est venue à prendre les commandes de notre univers, il faut remonter en l'an deux-mille-douze de notre monde, explique-t-elle le vague à l'âme :

     

    Héléna, combattante du clan de la lumière, mène un duel acharné contre l'homme du clan des démons. Les sorts fusent sans discontinuer. Déjà à plusieurs reprises il a failli la terrasser ! Il a un avantage sur elle, puisque seule sa pensée suffit à combattre. Quant à elle, sa magie ancestrale ne sort que de sa baguette. C'est un des inconvénients d'être une jeune fée : ses pouvoirs ne sont pas encore tous développés et elle n'est pas encore capable de faire de la magie sans sa baguette. De plus une autre chose joue en sa défaveur : jusqu'à il y a peu, les pouvoirs des fées étaient limités à embellir les choses non pas à combattre. Mais depuis que le clan de l'ombre leur a déclaré la guerre, elles ont été obligé de mettre en place moult formules magiques pour le défier. Alors, contrairement aux démons, pour qui l'art du combat est inné, les fées doivent faire preuve d'une grande concentration pour être efficaces dans leurs ripostes. Rien ne doit les détourner de leurs intentions pour réussir. Or, face à cet homme, Héléna a le cœur schamallow ! Elle se sent même stupide à le regarder ainsi avec béatitude.

    C'est pourquoi, tout en cherchant à comprendre ce qui lui arrive, elle n'utilise sa magie que pour détourner les attaques meurtrières de son adversaire ; ce qui n'est pas une mince affaire que d’éviter ses assauts, tant les lieux sont propices à quantité de pièges et cachettes : les grottes sont constituées d'une multitude de galeries, formant un véritable labyrinthe ; rendant les lieux inaccessible à tout être qui ne possède pas de pouvoir magique. D'ailleurs nombre d'humains qui ont tenté de s'aventurer dans ces grottes n'en sont jamais ressortis ! Ils mouraient tous de faim ou de folie de ne pouvoir quitter les entrailles de la Terre ; et leurs squelettes éparpillés ici et là donnent un aspect encore plus lugubre aux grottes.

    Héléna repense à une des expédition de spéléologues qui avait été envoyée pour tenter de trouver d'éventuels survivants d’une précédente virée$=*j, et comprendre ce qui se passe dans ces lieux. Cela avait été un véritable fiasco et n'avait fait qu'augmenter le nombre de victimes à dix personnes supplémentaires. Malgré leur précaution de s'encorder dès l'entrée, les explorateurs avaient subi le même sort que leurs congénères. Des écoulements acides avaient fait se dissoudre les cordes qui leur servaient de repère, les empêchant de retrouver leur chemin. Les humains, malgré tout, s'étaient acharnés et avaient envoyé plusieurs équipes de secours, mais aucune n’était jamais revenue. La seule chose qu’ils avaient gagné, c’était encore d’augmenter le nombre de cadavres dans les grottes ! Alors la terreur avait fini par gagner les habitants des environs et depuis ces horribles disparitions, l'accès des grottes est totalement interdit. Encore aujourd’hui des histoires à donner la chair de poule circulent sur le site et dissuadent quiconque aurait envie de s'y aventurer !

    « Heureusement que les humains ont finit pas comprendre, se dit Héléna, il y a suffisamment de squelettes comme cela dans ce fichu endroit et c'est vraiment trop glauque ; pas la peine d’en rajouter des couches ! » se dit-elle horrifiée à l'idée qu'il puisse y avoir d'autres morts.

    Pour accentuer les dangers de ces grottes, d’immenses stalagmites disparaissent constamment dans les enfonçures de la terre pour resurgir ailleurs, laissant des trous derrière eux. C'est à devenir dingue, car rien ne présage où le phénomène va avoir lieu ! Que dire des stalactites qui étrangement changent de taille, allant parfois jusqu'à bloquer le passage, pour devenir invisible, et réapparaître sous une autre forme, rendant totalement impossible l'idée de prendre des repères visuels.

    « Pas étonnant que tant d'humains y ai trouvé la mort, pense la fée le visage renfrognée. Même nous les être magiques on galère ; alors j'imagine même pas ces pauvres bougres confrontés à ces manifestations diaboliques ! se dit-elle en luttant pour ne pas dégringoler. Et comme si ça ne suffit pas d'éviter les attaques, je dois en plus anticiper sur l’émergence de ces anfractuosités en mouvements permanent ; un vrai casse tête ! », se dit Héléna qui manque de tomber dans l'une d'elle.

    Sous les rires sarcastiques de son adversaire, elle tente tant bien que mal de rétablir l'équilibre tout en se protégeant des sorts mortels qu'il lui envoie ; ce qui ne manque pas de déclencher une remarque cynique de ce dernier.

    « C'est tout ce que vous avez en boutique pour venir nous défier ? Des nourrissons tout juste sortis de leurs couches et incapable de tenir debout ! dit-il le regard plein de dédain.

    - Ne soyez pas aussi prétentieux monsieur », répond-elle offusquée par ses propos, tout en lui envoyant un sort de bouche cousue.

    Aussitôt les lèvres de l'homme se retrouvent ficelées et elle ne peut contenir un rire espiègle devant son air ahurit. Furibond, il parvient rapidement à retrouver la parole et reprend le combat. Une colère sourde lui prend les tripes de voir cette petite fée lui avoir ainsi ligoté la voix !

    L’ambiance glaciale du site ne facilite pas la tâche d'Héléna dans ses tentatives de remettre de la lumière dans le cœur de l'homme contre lequel elle combat. Même les torches allumées par les fées ne rendent pas l'atmosphère plus chaleureuse. Pourtant tout en esquivant ses attaques, elle tente de lui faire rejoindre son clan. Il a beau ricaner, elle est convaincue d'y parvenir. Elle ne baisse pas sa garde pour autant. Malgré tout, pleine de douceur, elle tente de la convaincre encore et encore tout en constatant que le duel perd de son ampleur. L’homme peu à peu faiblit, en même temps que la dualité s'installe en lui :

    « Pourquoi cette femme me trouble-t-elle aussi profondément ? Je ne sais plus si je dois la tuer ou laisser mon cœur parler ! » sa tête est un véritable champ de bataille où lumière et ombre se disputent la première place. « Dois-je rompre le serment fait avec Génard ? Dois-je profiter de la faiblesse que je sens en elle pour l'abattre sans pitié ? » s’interroge-t-il complètement paumé.

    Il fait un mouvement brusque de la main espérant chasser ses pensées qui l'agacent plus qu'autre chose.

    Héléna, percevant ce conflit intérieur, profite de l'occasion pour lui envoyer une dose massive d'amour. Ce qui lui est aisé tant elle en a pour lui. Elle-même se surprend de ce sentiment.

    « Comment est-ce possible ? C'est un humain et nos clans sont les pires ennemis dans l'univers ! », pense-t-elle très étonnée, une expression de stupeur sur le visage.

    Elle ne s'interroge pas plus avant, s'imaginant avoir rencontré son âme sœur, même s'ils n'appartiennent pas à la même espèce.

    « Rien ne peut s'opposer à l'amour ! S'il a les mêmes sentiments, je suis sûre qu'il peut retrouver le chemin de son cœur. » se dit-elle avec conviction.

    Il est aisé pour Héléna de penser ainsi, car comme nous l’avons dit, l’art de la guerre n’est pas naturel pour notre peuple, explique Alanoa d'une voix où perce l'affection pour sa cousine. En tout les cas, l'homme qu’elle affronte n’a pas l’air de son avis et son regard haineux, l'expression fermée de son visage, sa voix dure, quand il reprend la parole démentent les pensées d’Héléna :

    « Je ne sais quel sortilège vous m'avez jeté. Je ne parviens pas à me résoudre à vous écraser ! Ce serait si simple pourtant, tant vous êtes subjuguée. Je vous trouve bien naïve. Vous pensez vraiment que je ne vais pas vous abattre ? Ne faites pas cette tête ahurie ! Il n'y a pas que vous qui savez lire dans les pensées. » dit-il hargneux.

    Loin d'être déconcertée par ces propos, Héléna très sûre d'elle, saisit l'occasion pour lui dire ce qu'elle a sur le cœur :

    « Si votre âme était aussi noire que vous le laisser paraître, je serais déjà morte, dit-elle les joues rosies par son enthousiasme. Or, je constate que vous tergiversez à mettre fin à ce combat. Pourquoi ne pas laisser ce duel et rejoindre le clan de la lumière ? questionne-t-elle pleine de foi, qu'elle extériorise en ouvrant grand les yeux, tout en tendant son visage vers lui ; comme si elle voulait caresser de ses mots son interlocuteur.

    - Je vous trouve bien présomptueuse. En quoi pensez-vous que je veux changer de camp ? Descendez de votre nuage, nous sommes sur Terre ! » l'homme parle sèchement, un sourire narquois accroché aux lèvres.

    Sans se démonter Héléna lui tient tête et réplique aussitôt, trop heureuse de voir que sous ses dehors hautains elle a réussi à le toucher.

    « En quoi être sur Terre vous oblige à faire partie du clan des démons ? Et non je ne me sens pas supérieure à vous. Je crois juste au pouvoir de l'amour, comme toutes les fées ! Je suis sûre qu'il peut en être de même pour vous ; dit-elle avec ardeur, en se dressant de toute sa hauteur.

    - Vous êtes vraiment à côté de la plaque. De quoi vous mêlez vous ? Restez donc dans votre monde au lieu de venir nous envahir, répond son adversaire acerbe. Vous vivez peut-être d'amour et d'eau fraîche au pays des fées, mais pour nous les humains, c'est pas la même ; persifle-t-il le faciès complètement fermé. Vous croyez qu'il vous suffit de claquer des doigts pour tout changer ? Il serait peut-être temps d’atterrir madame la fée ! termine-t-il en s'emportant de plus en plus.

    - Mais que dites-vous ? Je suis bien consciente que tout est différent entre nos peuples ; lui dit-elle compatissante. Pourtant rien ne vous oblige à faire le choix de l'ombre. Il y a aussi l'autre côté du miroir : la lumière ; ajoute-elle tandis que ses sourcils se lèvent et qu'un léger sourire bienfaisant remplit ses lèvres. Et puis je vous signale, que nous les fées étions sur Terre bien avant vous ! continue-t-elle en s'irritant de la mauvaise foi de son interlocuteur. Alors s'il y a quelqu’un qui a envahi l'autre... »

    L'homme tout en ricanant coupe la parole à Héléna. Il se fait plus haut et plus ténébreux tout en rétorquant plein de cynisme, la voix rauque :

    « Alors madame se pointe avec son petit catalogue : ange ou démon », dit-il gouailleur, tout en mimant du geste comme s'il feuilletait ce dit catalogue, « et madame est convaincue que tout est aussi simple que cela. Que tout est divisible. D'un côté blanc et de l'autre noir ! énonce-t-il avec arrogance ; et continuant sur un ton moqueur, il assène son coup de grâce : Madame la fée nous la joue à la guimauve. Vous n'auriez pas une troisième alternative par hasard ? Non ? C'est bien ce qu'il me semblait ! poursuit-il le ton âcre. Elles sont bien belles vos paroles. Mais dans la réalité... », il laisse la phrase en suspend et sur un geste d'énervement il reprend « Et puis ça reste à prouver que vous étiez sur Terre avant nous ! » termine-t-il en s’emportant, les sourcils froncés et le regard incisif.

    Devant la réaction de l'homme, Héléna sourit tendrement et se conforte dans sa décision de le persuader de quitter le clan de l'ombre.

    « Dans la réalité vous avez peut-être envie d'y croire à autre chose ? Pourquoi poursuivre ce dialogue si ce n'est pas le cas ? questionne-t-elle avec ferveur, tout en le dévorant des yeux.

    - Parce que figurez-vous que j'ai d'étranges sensations ; répond-t-il amer. Je ne sais pas ce que c'est. Ça me pose un sacré problème de conscience et j'aurais mieux fait de vous descendre dès que j'en ai eu l'occasion ; grogne-t-il. En tout cas, vos solutions sont obsolètes ; lance-t-il en marmonnant tout en commençant à perdre de sa superbe.

    - En quoi mes propositions sont vieillottes ? Ce n'est pas compliqué ce choix entre le bien ou le mal ! dit Héléna innocemment. Et puis je vois bien que je ne vous laisse pas indifférent, vous ne combattez même plus ! poursuit-elle sur un ton presque enfantin. Ressentez-vous comme moi ce lien étrange qui nous lie ? questionne-t-elle avec émotion.

    - Vous me troublez ça c'est sûr. C'est Hiroshima dans ma tête. Et arrêtez ces multiples questions ! », l'homme, le visage crispé, se montre de plus en plus agacé. « Me prenez pas pour un pigeon ! Ces bouleversements en moi sont bien dus à quelque chose. Alors vous allez vite fait bien fait retirer votre sortilège », termine-t-il avec colère.

    - « Je n'ai usé d'aucune magie. Je puis vous l'assurer ; lui répond-elle avec sincérité. Croyez-vous que si j'avais utilisé un sortilège, je serais assez stupide pour penser qu'il atteindrait tous vos acolytes ? demande-t-elle avec véhémence, rougissant d'énervement de le voir aussi borné. N'importe lequel de vos combattants peut en profiter pour m'abattre. Pourtant je continue de vous parler comme si nous étions seuls au monde ! Je n'ai pas perdu la notion de ce qui se trame autour de nous et je ne suis pas idiote au point de ne pas voir que nous courons un grand danger, aussi bien l'un comme l'autre ! »

    Héléna parle avec emphase, elle s'agite faisant de grands gestes avec ses bras. Elle a tant envie de lui montrer que ses intentions sont bonnes, même si, s'avoue telle, une autre motivation la pousse à le convaincre. Parce qu'elle sent l'étincelle de l'amour grandir en elle.

    « Qu'est-ce que vous racontez encore ? dit-il incrédule en la regardant comme s'il avait à faire à une folle évadée de l'asile. C'est sûr ! Si Génard me voit parler avec vous plutôt que d'en terminer une bonne fois pour toute, il ne se gênera pas pour me faire la peau ! enchaîne-t-il complètement tourneboulé par son propre comportement.

    - Alors c'est indiscutable nous sommes autant atteints l'un que l'autre par cet élan d'amour ; déclame la fée Jamais je n'ai entendu une telle histoire entre un humain et une fée ! Nous sommes tellement différents ; dit-elle moitié pensive.

    - Oh ! Oh ! Oh ! On se calme ! Vous allez bien vite en la besogne. Je ne sais pas ce qui se passe, ni pourquoi ça bouillonne dans mon cœur, mais ça ne veut rien dire ! C'en ait même presque grotesque et comme vous dites on n’a rien à voir l'un avec l'autre ; répond l'homme complètement sur ses réserve tout en entamant un mouvement de recul comme s'il avait le diable aux fesses.

    - C'est clair, nous n'avons pas la même vision des choses. Alors le duel dans la grotte, n'est rien à côté de ce qui nous attend ; répond la fée avec conviction, sans prêter attention aux propos de l'homme. Pourtant j'ai envie d'y croire ! Sinon pourquoi nous serions-nous rencontrés ? Pourquoi ce sentiment serait si prégnant ? Parfois il suffit d'un exemple pour que les choses changent ! »

    Héléna poursuit cette joute verbale, gesticulant dans tous les sens, tentant de transmettre ses certitudes les plus profondes, de montrer tous les possibles. Mais l'homme est difficile à convaincre.

    « Je ne sais pas pourquoi Cupidon a eu la stupidité de nous toucher tous les deux ; dit-il dédaigneux un rictus de dégoût suspendu à sa bouche. Il a dû trouver ça drôle, cet imbécile, de nous faire ce sale coup ! Ou alors il a trop picolé hier soir et il a raté son tir et envoyé sa flèche au mauvais endroit ; tente-t-il de justifier avec rogne. Et sur un ton caustique il continue : On a rien à voir l’un avec l’autre ! Madame la fée a son p'tit cœur qui bat et pour elle, ça y est tout est gagné ! Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. Ça c'est pour les gosses ce genre de contes ! Mais moi je ne vais certainement pas me laisser gagner par ce sentiment débile. C'est de la connerie pure ! » il vocifère, crachant ces paroles avec une telle colère, que son corps en devient rouge-orangé comme la braise.

    La fée voyant son corps rougeoyer ainsi, constate qu’il se consume totalement de l’intérieur. Elle en éprouve un grand sentiment de joie : ses propres ressentis sont confirmés ! Cela lui insuffle une nouvelle force pour poursuivre.

    « Mais pourquoi ne pas croire en l'amour ? C'est si simple pourtant ! exprime-t-elle pleine d'assurance.

    - J'ai l'impression qu'on tourne en rond là ; répond-il agressivement en serrant les poings. Simple en quoi ? Moi j'suis dans les chiffres MADAME ; martèle-t-il comme s'il parlait à une simple d'esprit ; et je peux vous assurer que ce n'est pas toujours drôle. Rien n'est aisé sur Terre. La confiance, la guimauve c'est pour les gamins. Mais quand on est adulte tout se complique. Le combat c'est au quotidien ! dit-il nerveusement. Vous, les fées, vous déraillez complètement avec vos idées à l'eau de rose ; termine-t-il sardonique.

    - C’est clair comme de l’eau de roche, nous sommes en pleine dualité ! Entre vous qui êtes sur vos gardes et moi qui ai confiance en nous ! C'est une véritable partie de poker ; affirme-t-elle toujours aussi enthousiaste, rayonnante de plaisir. Qui gagnera ? L'amour ou nos modes de vie différents ? Cupidon ne nous a pas liés pour rien. Il a sûrement de bonnes raisons ! Alors pourquoi ne pas y croire ? demande Héléna avec candeur, dont les questions et affirmations fusent de sa bouche dans un débit ininterrompu.

    « Vous êtes longue à la détente vous, quand même ! J'ai l'impression de parler à un mur. Vous m'écoutez ou quoi ? »

    L'homme s'énerve et envoie une armée de flammes qui entourent Héléna prêtent à la consumer sur place. Une étincelle de rire dans les yeux elle déjoue le sort avec facilité.

    « Pas très crédible le garçon. Il est bien plus perturbé qu'il ne veut le laisser paraître », pense-t-elle. Alors loin de se résigner elle reprend de plus belle.

    « Bien sûr que je vous entend. Ça n'empêche que l'ange de l'amour n'a pas frappé par hasard ; commence-t-elle pleine de la sincérité et des sentiments qui l'animent.

    Elle fait les cent pas en réfléchissant à la vitesse de l'éclaire et continue dans sa lancée :

    « Et je le connais personnellement, je sais qu'il ne s'enivre jamais ! Je ne pense pas non plus qu'il ait agi par malveillance. Ce n'est pas son style »

    Héléna très intriguée s'arrête de parler et réfléchit sans se rendre compte qu'elle s'exprime à voix haute. La main sur sa joue, prenant la même pose que la sculpture de Rodin, elle met son coude sur l'autre bras plié contre sa poitrine, et s'interroge sur ce qu'il se passe :

    « Je connais bien les mécanismes du cerveau. Ça va être délicat pour tous les deux. Alors pourquoi réunir un humain et une fée ? Qui plus est, sont opposés par leurs choix de vie ? se demande-t-elle la tête légèrement inclinée tant elle est absorbée par ces réflexions. Cet homme voit le mal partout au lieu de voir ce sentiment qui nous lie ! Pourquoi Cupidon a-t-il fait ça ? Dans quel but nous réunir ? »

    Héléna fait des allers-retours devant l'homme en question toute à ses méditations, sans plus penser aux raisons pour lesquelles elle se trouve dans ces grottes. Son adversaire la sort de ses pensées avec cynisme.

    « Haha-haha ! Vous délirez de plus en plus. Vous êtes grave à l'Ouest ! De quoi me parlez-vous de dualité ? De cerveau ? D'inconscient ? C'est quoi vos histoire ? On touche le fond là ! »

    L'homme de colère envoie une autre salve de sorts, qu'Héléna évite avec aisance. Elle sourit encore plus ; ses propos le retournent vraiment. La foi de la fée grandit de pouvoir toucher encore plus son cœur et l'amener à la rejoindre. Elle ne s'aperçoit même pas que dans l'ombre quelqu'un observe la scène.

     

    *

    La silhouette qui épie se penche sur un être étrange, un patolitote, et lui susurre discrètement quelques mots à l’oreille. Le patolitote n'en mène pas large, devant la lueur aussi sombre que l'acier, qui brille dans les yeux de son maître. Il n'a pas intérêt à louper son coup. Pourtant, s'il savait la satisfaction de Génard, qui voit que tout se déroule comme il l'a prédit, il ne serait pas aussi inquiet. Après un dernier regard sur le couple, le chef des démons quitte le champ de bataille.

     

    *

    Héléna profite de la brèche ouverte dans la certitude de son adversaire pour surenchérir :

    « Vous n'êtes pas au fait des nouvelles découvertes faites sur les mécanismes du cerveau et de l'inconscient ! »

    La fée s'emporte dans ses explications avec fougue, mimant presque tous ses mots comme pour appuyer ses propos.

    « Ce que nous les êtres magiques savons depuis bien longtemps déjà, vos scientifiques eux commencent à peine à l'explorer et le mettre en avant. Le cerveau est une machine extraordinaire, mais complexe. Il est très malléable et beaucoup de choses viennent interférer dans son fonctionnement !

    - Vous voulez en venir où là ? C’est nébuleux ce que vous dites ! intervient l’homme avec condescendance en haussant le sourcil droit.

    - Si vous me laissiez terminer au lieu de m’interrompre tout le temps ! rétorque la fée agacée par l’arrogance de son interlocuteur.

    - Allez y, je vous écoute au lieu de faire l’enfant ; dit-il en la titillant.

    Héléna fait la moue, en le regardant sévèrement droit dans les yeux ; ce type l’exaspère bien plus que la normale et elle s’étonne qu’il parvienne ainsi à lui faire perdre son calme.

    - Le subconscient domine près de quatre-vingt-dix pour cent de vos actes et tout ce que vous avez vécu dans votre enfance, puis plus tard influence chacun de vos choix. », riposte-t-elle courroucée par le ton méprisant de l'homme.

    - Oui, et alors ? Ça vient faire quoi là-dedans votre petite histoire ? questionne-t-il plein de suffisance.

    Il l’a dévisage, les bras croisés, le regard hautain, constatant qu’il parvient à la déstabiliser avec aisance, et s’en amuse plus que de raison.

    « Et bien parce que tout ce qu’enregistre le cerveau va vous conduire à des choix qui sont trop souvent bien à l’encontre de ce que vous voudriez vivre ! Par exemple nous les fées sommes éduquées dans un écrin de bonheur ; ainsi nous avons une foi totale en la puissance de l'amour ! J'ai foi en ce que la vie peut offrir. poursuit-elle plus calmement tout en le regardant droit dans les yeux. De ce fait notre rencontre pour moi est positive et j'ai confiance en vos possibilités ; affirme-t-elle radoucit Vous me rétorquerez peut-être, une fois de plus, que je suis totalement folle. Je m'en moque ! poursuit-elle avec ardeur. C'est peut-être incroyable, pourtant je sais, que même si je devais aller vous chercher en enfer, je le ferais. Si moi une fée, je ne peux pas croire en la magie, en toutes ses possibilités, qui pourra le faire ? »

    Héléna lance cette longue tirade en oubliant presque de respirer, tant elle craint que l'homme ne lui coupe encore la parole. Elle est à bout de souffle quand elle constate avoir fait mouche. L'homme l'écoute pantois. Peu à peu il se laisse tenter par ce qui touche son cœur.

    « Je sais que nous ne sommes pas dans un salon de thé mais nous voilà à discuter et je ne connais même pas votre prénom. Je m'appelle Héléna et vous ? » demande-t-elle avec tendresse, la bouche en cœur.

    L'homme la regarde un peu sonné. Les propos de la fée éveillent en lui bien des interrogations. Plissant les yeux comme pour mieux la voir et lire en elle, il reste silencieux tout en la sondant. Il aurait pris un Knock-out sur un ring de boxe qu'il ne serait pas aussi assommé. Une voix lointaine et douce le ramène à ce combat qui ressemble plus à un duel intérieur qu'à autre chose.

    « Hou, hou ! Vous êtes là ? Vous vous sentez bien ? demande Héléna soucieuse.

    - Avouez que la situation est cocasse. Nous sommes censés nous faire la guerre et au lieu de cela nous conversons comme si nous étions de vieux amis ; répond-il troublé par ce qui se passe. Mais soit ! Il semblerait qu'une trêve nous soit accordée, alors pourquoi ne pas en profiter. Je m'appelle Victor, dit-il la stupeur dans la voix.

    - Je n'irais pas jusqu'à dire que nous discutons comme de vieux amis, même s'il est vrai que la situation vu de l'extérieur peut paraître incongrue, je vous l’accorde, répond-elle amusée en même temps que s'étale un large sourire sur son faciès. Dites-moi Victor, pourquoi avez-vous rejoint le clan des démons ? » questionne la fée gentiment.

    Nonobstant ce qui les entoure, ce pour quoi ils sont réunis, Victor lui confie son histoire : quelques dizaines d'années en arrière, il a signé un pacte avec l’ombre.

    « J’étais au bord de la faillite. L’entreprise que mon père m’a léguée, qui se transmet de génération en génération, était en train de sombrer. La crise de 1929 n'a pas arrangé les choses ; explique-t-il déconfit. Je vivais très mal cette situation lorsque Génard m’a proposé de m’aider. J’étais tellement préoccupé par ma sécurité financière et la sauvegarde de mon patrimoine que je n’ai pas fait attention aux propos de cet homme, si ce n’est qu'il pouvait tout arranger. J’ai accepté sans plus réfléchir et j'ai signé un pacte avec mon sang ; continue-t-il assez mal à l'aise. Ça a tout changé dans ma vie. C'est sûr, Génard est un grand mage ! » termine-t-il désenchanté.

    Avec cet accord la situation financière de Victor fut de nouveau florissante. Il obtint même un bonus, car Génard, qui pouvait jouer avec le temps, lui accorda une grande longévité. C’est ainsi que Victor a rejoint le clan des démons.

     

    *

    Justement, Génard, qui observe la scène depuis son antre, en a assez de voir la situation s'éterniser; il lui tarde de voir sa prédiction se mettre à l'œuvre. Aussi décide-t-il d'intervenir. Il prépare un envoûtement afin d'augmenter les effets de la flèche lancée par Cupidon, puis jette sans plus tarder le sortilège pour faire flancher Victor. Génard doit absolument gagner ce combat pour son avenir et celui du clan des démons ! Il ajoute donc à ce sortilège quelques incantations pour rompre le fameux pacte signé avec Victor. Mais l'effet cumulé de tous les sorts est d'une telle violence que Génard voit sa proie chanceler.

     

    *

    Victor regarde Héléna une lueur d'incompréhension dans les yeux. Il a le teint pâle et tient difficilement sur ses jambes.

    « Que vous arrive-t-il ? Ça ne va pas ? lui demande-t-elle avec inquiétude, réprimant la frayeur qui l'envahit à l'idée de le perdre.

    - Un léger malaise. Je me sens tout bizarre ; répond-t-il d’un ton faible en chancelant.

    - Je peux faire quelque chose ? demande Héléna affolé par l'état de Victor, tout en se précipitant vers lui pour le soutenir.

    - Non ça va. Le tournis est en train de passer. C'est comme si on me retirait quelque chose. C'est vraiment étrange », reprend Victor d'une voix tremblante, le visage d'une blancheur extrême et les traits soudainement tirés.

     

    *

    Génard qui continue de superviser l'échange entre Héléna et Victor constate qu'il a un peu trop forcé la dose. Rien ne doit être laissé au hasard, il ne doit pas être dénoncé en agissant avec trop de précipitation. Tout doit sembler naturel et non émaner d'une quelconque magie, sinon la fée va compromettre ses plans. Alors il reprend quelques incantations pour stabiliser la situation et embrumer les esprits des deux tourtereaux. Le sourire qu'il voit se dessiner sur les lèvres de Victor lui confirme que tout est rentré dans l'ordre ; même sa voix est claire quand il s'adresse de nouveau à Héléna qui n'a absolument rien pressentit tant elle est aveuglé par son amour à l'égard de Victor.

     

    *

    « Je m'en suis longtemps mordu les doigts de ce pacte avec Génard. Je ne supportais pas d'être au service de ce démon, même si les pouvoirs qu'il m'a donnés me sont montés à la tête ; dit Victor un peu honteux, tout en reprenant des couleurs. J'étais le roi des affaires, les mafieux ne m'arrivaient pas à la cheville et me craignaient. C'était excitant et j'étais tout puissant ; » poursuit-il fiévreusement, emporté par ses souvenirs en même temps qu'il retrouve plus de stabilité dans ses jambes. « Mais en contre-parti Génard exigeait de moi d'être un des leurs et tuer n'était pas mon fort. Avec le temps je me suis laissé entraîner comme un zombie dans son monde ; enchaîne-t-il d’une voix caverneuse. Génard m'ensorcelait pour s'assurer ma coopération. Il a bien vu qu'une part de moi doutait du bien-fondé de tuer sans merci toutes personnes s'opposant au clan des démons ; continue-t-il avec amertume. De mon côté, pour oublier ce que je faisais j'ai fait n'importe quoi et je me suis mis à prendre des drogues et à jouer au casino. Ça m'atrophiait les neurones et je ne pensais pas. Mais franchement, je ne regrette pas aujourd'hui tout ce qui s'est passé ; » conclue-t-il sur un ton plein d'entrain, alors qu'il exhibe un grand sourire béat tant il rayonne de bonheur en pensant à la chance qu'il a de faire cette rencontre grâce à ses choix passés.

    «  Comment ça ? demande Héléna déroutée par les propos de Victor.

    - Réfléchissez un peu ! Si je n'avais pas signé ce pacte avec Génard, je ne vous aurais jamais rencontré car je serais déjà mort ; dit-il tout ragaillardit. Et surtout, je ne serais pas dans ces grottes avec vous. Ce qui est épatant, c'est que malgré mon appartenance au clan de l'ombre, vous avez laissé vos sentiments parler ; termine-t-il plein d'admiration pour la fée.

    - Je n'ai aucun mérite. N'oubliez pas l'intervention de Cupidon ; répond-elle humblement.

    - Comment pouvez-vous me faire confiance de la sorte ? », très étonné il regarde Héléna ébahit par son comportement. « Malgré ce qui se trame ici vous avez préférer tenter le tout pour le tout pour m'épargner au lieu de le combattre. c’est incroyable, admettez le ! lance-t-il de plus en plus surpris.

    « Je vous l'ai dit, nous les fées avons une foi sans limite. Si Cupidon a agi ainsi, c'est qu'il y a forcément une raison. ; lui explique-t-elle comme si tout cela était tout à fait normal. C'est du reste en partie à cause de cette foi que les démons cherchent à nous faire disparaître ; car ça les gêne dans leur emprise totale sur les humains, affirme-t-elle avec assurance.

    - Mais pourquoi ne laissez-vous pas les démons agir comme bon leur semble puisque c'est aux hommes qu'ils veulent s'en prendre ? Ils ne chercheraient plus à vous anéantir ; demande-t-il curieux.

    - C'est insensé ce que vous dites ! répond-elle consternée. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés à regarder les démons régner sur Terre ! continue-t-elle sur un ton scandalisé en faisant les gros yeux. Nous sommes là pour protéger les humains des effets néfastes de l'ombre ! s’exclame-t-elle. Même si nous n’avons pas le droit d’interagir sur le libre-arbitre des hommes, nous pouvons limiter les dégâts ; poursuit-elle sur un ton un peu plus calme. Il est important de garder un équilibre, sinon ce serait l'anéantissement de tout, dit-elle avec assurance. Bien sûr, l'idéal serait de faire disparaître les démons à jamais, annonce-t-elle tout en se détendant ; mais ça ne fait pas partie des plans du Grand-Tout. Je ne sais pas pourquoi il tient tant à préserver l'existence de toutes choses ; affirme-t-elle chiffonnée. Il nous dit qu'il y a une autre alternative que d’exterminer le clan de l’ombre ; et je ne vois vraiment pas ce que c'est. ; continue-t-elle un peu boudeuse. Et avec ce fichu libre-arbitre que nous avons nous aussi, il ne nous aide pas d'un pouce. Vous voyez bien que notre rôle est important et que nous ne pouvons pas quitter la Terre ; affirme-elle avec élan. Et puis d’abord nous y étions bien avant les démons et les humains sur cette planète ; je vous l’ai déjà dit ! termine Héléna fâchées par les allégations de Victor.

    - Alors Héléna, si vous êtes là pour aider les humains, comment se fait-il que je ne vous ai pas entendu lorsque j'ai demandé de l'aide ? Comment se fait-il que je n'ai entendu que la voix de Génard ? intervient-il perplexe en se frottant le menton.

    - L'ombre se nourrit de vos peurs et de vos doutes. Elle a besoin de vos pensées négatives pour vous atteindre. Comme vous étiez perturbé à l'idée de perdre votre entreprise, Génard en a profité ; explique-t-elle persuadée d'être dans le vrai. Malheureusement, quand vous êtes ainsi, nous n'arrivons pas à entrer en contact ; commente Héléna naïvement.

    - Si je vous comprends bien, je suis à même de vous entendre parce que Cupidon est intervenu ? demande-t-il abasourdit en écarquillant les yeux.

    - Entre autre Victor et aussi parce que votre pacte avec Génard vous a fait entrer dans le cercle de la magie, même si de votre côté vous avez utilisé la magie noire ; lui dit-elle innocemment. Je pense que si Cupidon ne nous avait pas touchés de sa flèche, nous aurions combattu comme les fois précédentes et l'un de nous serait déjà mort. Sans cet amour que j'ai pour vous, je n'aurai pas tenté de vous parler ; constate Héléna qui commence à être quelque peu déstabilisée par ses propres assertions.

    - Alors comment fait-on si vous ne pouvez pas nous venir en aide quand on est trop mal ? C'est complètement digue votre histoire. Ça veut dire que les seules réponses que nous pouvons recevoir sont celles de l'ombre ? questionne-t-il de plus en plus dubitatif ; exhibant un masque de surprise.

    - Non Victor ! Cela signifie juste que vous devez avoir la foi. Si vous y croyez fort, alors vous aurez l'aide. Nous sommes toujours là, prêts à intervenir. » Héléna se fait de plus en plus véhémente, presque plus, pour se convaincre elle-même que pour convaincre Victor ; tout en éprouvant une sensation d'inconfort qui lui faire rougir ses joues.

    « Vous me scotchez là. Comment avoir la foi quand on est au fond du gouffre ? Comment ne pas douter ? Ça fait un peu monde des Bisounours ça » ; s'exclame-t-il décontenancé.

    Victor s’interroge, ses sourcils se froncent et sa bouche se tord sous la stupeur qui le ronge. Il reprend vivement :

    « On est des humains bordel et on a nos limites. Si nous ne pouvons pas vous entendre quand on est mal, vous ne croyez pas que vous avez des choses à changer ? persifle-t-il. Vous pensez que c'est tout blanc ou tout noir, mais ne croyez-vous pas qu'il peut y avoir autre chose ? continue-t-il en sortant de ses gongs. Autre chose qui pourrait vous permettre de nous atteindre ? demande-t-il consterné. Ah, vous êtes bien prétentieux vous les êtres magiques quand vous dites que vous savez comment fonctionne le cerveau humain ! Vous n’êtes même pas capable de voir que vous aussi vous avez des limites ! » conclue-t-il agacé.

    Héléna se sent dans une impasse. Les échanges avec Victor la déstabilisent, remettant en cause ses convictions. Elle se sent proche de l'asphyxie, tant elle commence à voir les écueils de son mode de fonctionnement. Ce que dit cet homme est totalement juste, les sentiments négatifs les empêchent d'agir pour aider les humains.

    « Si je saisis bien ce qui se passe, les intentions du Grand-Tout seraient de réunir ? C'est pour cela qu'il aurait demandé la participation de Cupidon pour nous unir Victor et moi ? », pense-t-elle de plus en plus incertaine.

     

    *

    Génard qui assiste en direct à l’échange entre les tourtereaux depuis son repère, perd un peu de son assurance quant à son plan. Il ne pensait pas que ce couple que fondaient Victor et Héléna, avait une si grande importance aux yeux du Grand-Tout. Il fait les cents pas autour de son grimoire cherchant une idée pour gagner la partie. Il ne croyait pas que ce serait si compliqué de parvenir à son but. Il s'imaginait gagner en un tour de main et finalement la tâche lui semble plus ardue que ce qu'il avait prédit.

    « Ainsi le Grand-Tout se permettrai d'interagir sur le libre-arbitre en m'empêchant de tout voir dans mes visions ? », gamberge-t-il. La tête de Génard est en ébullition. « Il me faut absolument une idée pour contrer ce fouteur de troubles ! » s’énerve-t-il intérieurement, les traits déformés par la colère.

    Mais rien ne traverse son esprit qui d'habitude est prompt à la répartie. Il pousse un cri de bête enragée, à faire trembler les murs. Autour de lui tout s'embrase tant son courroux est immense.

    Laïssion, enveloppée dans une longue robe moulante en peau de serpent, s'approche de lui, voluptueuse. Elle est aussi grande que lui avec ses talons aiguilles qui n’en finissent pas.

    « Tu as une silhouette de bombasse » que Génard a l’habitude de lui dire, « belle à l’extérieur, vide à l’intérieur ».

    ça l’a toujours fait bouillonner de l’entendre parler d’elle ainsi ; aussi roucoule-t-elle de plaisir en voyant le démon aussi démuni. Il est temps qu’il voit qui elle est, pense-t-elle tout en passant ses longs ongles sur le visage de son homme. En temps normal, il l'aurait embrassé sauvagement et lui aurait montré sa domination, mais là, son esprit est ailleurs. Il a l'impression de perdre le contrôle des événements et il refuse cette éventualité. De plus en plus rageur, il attrape la main de sa femme et la repousse avec violence.

    « Pourquoi t'énerves tu ainsi ? », demande-t-elle à la fois déconcertée et ravie par l'attitude de Génard.

    « Je n'arrive pas à trouver une idée pour séparer ces deux-là ! Le Grand-Tout interfère dans mes plans et m'empêche une claire-voyance total ; répond-il avec humeur. Jamais il n'a agi de la sorte avant. Le patolitote n'arrive pas non plus à prendre le contrôle du cerveau de Capucine. Elle n'a donc pas encore descendu Victor et plus ces deux-là discutent, plus ils réalisent des choses qu'ils feraient mieux de ne jamais savoir ! poursuit le démon de plus en plus colérique, le corps tendu tant il est tourmenté. J'avais fait en sorte qu'ils soient tranquilles pour tomber amoureux l'un de l'autre comme je l'avais vu dans ma prédiction, mais là c'est du grand délire, rien n'interfère entre eux et personne ne les vois ! Pire encore, ils sont entrain de comprendre nos manipulations ! » termine-t-il furibond en s'agitant plus que de raison.

    Laïssion jubile et dans ses yeux, aussi noirs que sa chevelure, brillent les éclats du plaisir qu'elle éprouve à montrer pour la première fois de sa vie sa supériorité féminine à son homme. Elle s'approche de son oreille et lui susurre quelques mots tout en étant traversée par des ondes de satisfaction.

    « Commence par embrumer le cerveau d'Héléna, je suis sûre que le Grand-Tout n'a pas pensé aux petits sorts qui peuvent nous être tout autant utiles, suggère-t-elle crânement. Si c'est elle que tu veux, il est temps de te mettre à l'œuvre. Pour la suite écoute-moi bien... » chuchote-t-elle, du venin plein la bouche.

    Laïssion se penche encore plus contre l’oreille de Génard, se collant complètement à lui, moulant presque leurs deux corps pour n'en faire plus qu'un, et de peur que quelqu'un n'entende ce qu'elle lui dit, elle parle encore plus bas de sorte que Génard doit faire un immense effort de concentration pour l’entendre. Ses mots le font se redresser, reprenant son assurance habituelle ; chaque fibre de son être se gonfle de nouveau de toute puissante, de fierté. Il enlace sa femme et plonge son regard dans le sien.

    « Tu sais que tu iras loin toi ? J'ai épousé la plus sordide des démones. Gaffe-toi quand même à ne pas en faire trop », lui dit-il sur le ton de la menace, le regard pénétrant ; histoire de la jauger.

    «  Sait-on jamais ; se dit-il. On ne peut être sûr de personne et encore moins de nos proches, pense-t-il avec méfiance. Je dois absolument lui montrer que c'est moi le maître, même si j'ai perdu mes moyens et qu'elle en a été témoin ! Mais je dois aussi m'assurer son concours », s'avise-t-il plus conciliant. Alors sur un ton un peu plus doux il reprend

    « Je te laisse l'honneur d'aller en informer le patolitote de notre plan, pendant ce temps je m'occupe de la belle. Et ne reviens pas tant que tu n'as pas tout accomplis. » commande-t-il autoritaire.

    Pendant que Génard prépare les sortilèges pour Héléna, Laïssion s'éclipse dans les grottes pour accomplir sa mission.

    Le démon de son côté prononce ses incantations tout en regardant le résultat au travers de son grimoire. Il se régale de voir devant ses yeux l'histoire se réécrire comme il l'entend. Un énorme coup de tonnerre lui montre qu'il a enfin pris l'avantage sur le Grand-Tout. Il se frotte les mains de satisfaction. Il était tellement obnubilé par ses objectifs, qu'il n'avait pas pensé à ces tout petits riens qui pouvaient changer la donne.

    « Comme quoi, se dit-il ; il y a malgré tout du bon à être entouré d'une femme. » conclut-il pour lui-même tout en continuant à vérifier que tout se passe comme il l'entend.

     

    *

    Dans la grotte Héléna reprend la parole avec une pointe d'hésitation dans la voix. Elle se sent toute troublée et ne sait d'où provient cette sensation. Elle perd pied et sent une brèche s'ouvre en elle. Elle n'a jamais douté de sa vie et ne parviens donc pas à mettre un nom sur ce qui la traverse.

    « Je ne sais pas Victor. Je ne me suis jamais penchée sur la question. Quel est donc ce monde des Bisounours dont vous me parlez ? demande-t-elle d’une toute petite voix.

    - Oh rien de bien important. Il s'agit d'un dessin animé pour enfant où tout est amour. Un truc nunuche quoi. » dit-il avec dédain en haussant les épaules.

    En l'entendant exprimer son aversion pour les douceurs, Héléna sent de nouveau l'air affluer dans ses poumons. Elle s'accroche à cela pour sortir du bourbier dans lequel elle s'enfonce depuis quelques secondes. Jamais auparavant elle ne s'est questionnée sur ce qu'elle percevait et sur ce qu'elle est. Alors elle s'encourage en se connectant sur ses connaissances, elle se convainc que le manque de foi de Victor est responsable de ses déboires. De nouveau confiante dans les leçons qu'elle a reçues, elle se concentre sur l’idée, que, c'est parce qu'il est hermétique à l'amour qu'il ne peut entrevoir les belles choses qui l'entoure.

    « Victor pourquoi est-ce de l'eau de rose l'amour selon vous ? Pourquoi n'y croyez-vous pas ? Comment pouvez-vous nous voir si vous ne le voulez pas ? » demande-t-elle revigorée avec toutefois des pointes d'aigu dans la voix qui dénotent un certain malaise.

    « C'est en partie vrai, je ne suis pas très fort sur le fait d'aimer. C'est peut-être parce que je n'ai pas appris de la bonne façon. » Victor rit jaune, il est embarrassé de ne pas être sur la même longueur d'onde que la fée. « L’amour dont vous parlez, j’ai envie d’apprendre à le ressentir ; pourtant je suis sûr que vous aussi, on vous dupe, et que vous vous trompez sur certaines choses. Parce qu’en général quand on a des problèmes ça influe sur notre moral ; et si vous n'êtes pas capable de nous entendre, c’est que vous avez des choses à corriger, expose-t-il la voix posée et sereine. Vous devriez aussi pouvoir parler aux gens qui n'ont plus la foi. Sinon ne vous étonnez pas que Génard ait toujours le dessus sur vous ; poursuit Victor confiant en ce qu’il énonce et entraperçoit. En plus, quand on est dans la merde, on peut difficilement éprouver de l'amour ; parce que justement on broie du noir. Je crois que vos experts devraient un peu plus bosser sur le cerveau en concert avec des humains, parce qu'ils ne sont pas aussi doués que vous le dites » ; conclut-il en la fixant avec tendresse.

    Héléna sourit amoureusement. Elle est sur un nuage. Elle est comme dans une bulle où seuls elle et Victor existent. Elle l’écoute de plus en plus sûre d’elle.

    « Il a raison, pense-t-elle, le clan de la lumière doit revoir sa façon de considérer les humains. »

     

    *

    Génard voit rouge, le grimoire de nouveau réécrit l'histoire et ce qu'il lit ne lui plaît pas du tout. Le Grand-Tout une fois de plus est intervenu pour donner le discernement à la jeune fée ! Le démon lève les yeux au ciel et envoie une flopée d'injure à l'égard de son ennemi juré. Une pluie de coups de tonnerre et d'éclairs lui répond.

    « Je finirai par prendre le dessus », jure t-il en s'adressant au ciel.

    Alors, il revisite ses formules afin d'en trouver une plus puissante encore. Une onde de satisfaction lui parcourt le dos quand il trouve enfin celle qui peut le faire gagner. Il s'empresse de la mettre en œuvre et voit Héléna qui flanche de nouveau. L'onde de plaisir se propage dans chacune de ses cellules, un sourire de suffisance se dessine sur ces lèvres : cette fois-ci, il est sûr d'être le vainqueur !

     

    *

    Dans la grotte Héléna vacille. Son visage pâlit, elle a la nausée. Elle regarde Victor hébétée, se demandant bien ce qui lui arrive et commence à se poser des questions. Il s'empresse de la soutenir, mettant un bras autour de sa taille. Il tremble comme une feuille en la voyant ainsi, craignant qu'un démon ne l'ai blessé.

     

    *

    Génard qui regarde ce qui se passe, est persuadé d’avoir enfin atteint son but, il jubile ; et attend avec contentement la chute finale de la fée.

     

    *

    Héléna sourit faiblement à Victor tout en le rassurant et répond avec lassitude :

    « Ne vous inquiétez pas, je n'ai rien ! Je crois que ces révélations que nous découvrons ensemble me torpille plus que de raisons. Et même si de voir nos erreurs me rend malade, je constate que vous êtes dans le juste sur certains points ; dit Héléna en reprenant peu à peu des couleurs. Peut-être est-ce pour agir au mieux et faire des changements que Cupidon nous a réunis ! Vous avez certainement des choses à m'apprendre », convient-elle avec sagesse, tout en le mangeant du regard.

    Héléna est aux anges et expose sans retenu son bonheur devant Victor.

    « Partageons nos connaissances, nos croyances pour faire quelque chose de meilleur, dit-elle le cœur en liesse. Vous pourriez me guider pour que je sache mieux entendre et comprendre les humains ; finit-elle avec humilité.

    - Pourquoi pas ? lui répond Victor heureux de ce tournant dans sa vie, en l'enlaçant. D'autant que cet amour que j'éprouve pour vous me transporte. Je ne pensais pas qu'un jour je puisse dire cela. J'ai l'impression que je pourrais soulever des montagnes avec vous à mes côtés. » dit-il enthousiaste.

    Héléna boit chacune de ses paroles et goûte du bout des lèvres son prénom qu’elle aime dire et redire. Elle se serre contre lui et le prend par les mains tout en l'admirant sans retenue. C'est un homme grand, vigoureux ; il a au moins une tête de plus qu'elle. Les traits de son visage semblent taillés dans le roc. Son teint mat fait ressortir la couleur de ses yeux, d'un vert flamboyant. Héléna s'imagine déjà passer ses mains dans son épaisse chevelure.

    « C'est vraiment un bel homme, il mesure au moins deux mètres. Je n'avais encore jamais vu un métisse aux yeux verts et aux cheveux blond cendrés. Il a dû se les teindre. Ah mais peu importe ! Qu'il est beau ! Quel drôle de coïncidence que de le rencontrer là. », pense Héléna qui succombe de seconde en seconde à ses charmes.

    Elle le dévisage, les yeux pleins d’amour, remarquant que le cœur de Victor s’emplit de plus en plus de cette émotion. Elle est ravie de la tournure des événements ; loin de penser que Génard met tout en œuvre pour la détruire.

     

    *

    Le démon fait les cent pas dans sa tanière, encore sous le choc de voir que ses derniers sortilèges n'ont fait que feu de paille.

    Le temps à peine de se délecter d'un soupçon de victoire !

    Il était tellement sur de lui, que sa déconvenue en est d'autant plus grande ; et cette fois ci même le Grand-Tout n'est pas intervenu !

    « C'est impensable, hurle Génard. Ça ne va donc pas se terminer cette affaire ! Leur amour est tellement fort qu'ils parviennent à détourner mes sorts. C'est à vomir de les voir s'aimer comme cela !» dit-il écœuré.

    Génard se triture les mains, les traits déformés il a la moutarde qui lui monte au nez et son corps devient incandescent. Il déteste être démuni de la sorte. Tout son corps est tendu par la colère. Les yeux révulsés, il contient difficilement les petits sons rauques de rage qui s'évadent de sa bouche tordue par son échec. Il se résigne à contacter Laïssion, qui malgré tout lui a soufflé quelques bonnes idées ; même si pour le moment aucune n'a aboutit. Pourtant, il n'a pas dit son dernier mot. Le poisson est bien trop gros et il n'a pas envie de le laisser fuir. La démone se matérialise devant lui quasi instantanément et constate que son homme est décontenancé. Elle exulte et a bien du mal à le cacher ; alors d'une démarche chaloupé, elle va vers le bar et leur sert une double vodka frappée. Elle avale son verre d'un coup sec, tout en tendant l'autre à Génard.

    «  Tiens, un petit remontant, minaude-t-elle. Rien de tel pour le morale des troupes », dit-elle alors qu'il ingurgite le verre d'un trait et le retend à la démone pour qu'elle le resserve. « Que se passe-t-il ? » lui demande-t-elle masquant difficilement son impatience de le voir geindre encore une fois, en la suppliant de l'aider.

    «  Ça ne marche pas comme on veut. Quel que soit le sortilège que j'utilise leur amour est plus fort. Il me faut une autre idée ! Grogne-t-il en attrapant la bouteille et en buvant directement au goulot.

    - La jalousie, dit-elle spontanément en retenant difficilement la joie qui l'emplit de voir Génard à sa merci.

    - Quoi la jalousie ? demande-t-il hargneux.

    - Insuffle-leur de la jalousie. C'est un sentiment perfide qui peut mettre à mal leur amour et ainsi retirer leur protection ; lui répond-elle avec une voix aussi fourbe que tout son être.

    - Tu sais très bien que je ne peux pas atteindre Héléna avec ce type de sentiment ; lui répond-il avec mépris. Elle a presque finit son cycle d’apprentissage et même si j'ai réussis à la faire douter un peu, elle est prête à admettre ses erreurs, dit-il amer. C'en est écœurant de la voir ainsi encline à accepter qu'elle peut se tromper et s'en remettre ainsi à l'avis de l'autre ; finit-il en rage en tapant du poing sur le mur en face de lui.

    - Mais lui n'est pas intouchable ! Tu le sais bien, assure-t-elle pleine de mauvaiseté. Mets le paquet, ça va le déstabiliser et ouvrir un gouffre assez grand qui va les atteindre tous les deux, ainsi nous pourrons mettre le reste du plan à exécution. » lui répond-elle d’un ton très assuré.

    Le démon regarde Laïssion avec intérêt. C'est vrai que jusqu'à lors il voulait passer par Capucine ou Héléna pour mettre son plan à exécution, mais il n'avais pas envisagé de passer par le biais de Victor.

    « À n'en pas douter ma femme est experte en matière de zizanie », pense t-il.

    Il se rassure avec cette idée pour ne pas perdre la face. Il est tout puissant et refuse que quiconque ne le coiffe au poteau !

    « En matière de cruauté féminine tu es fortiche ! Concède-t-il mi-figue mi-raisin. C'est donc toi qui t'amuse à créer autant de malveillance entre les femmes pour qu'elles se crêpent le chignon ? lui demande t-il presque pas étonné.

    - On s'occupe comme on peut ! Ça m'amuse et je m’ennuie moins ; dit-elle en riant comme une gamine pleine d’intentions flippantes.

    - Ouais, répond-il sur la réserve ; en tous les cas ton expérience nous sert à quelque chose aujourd'hui, admet-il plein de cruauté. C'est vraiment étrange votre façon de fonctionner à vous les femmes. Je ne pensais pas que les démones étaient comme les humaines ; fait-il remarquer avec dérision.

    - Non c'est l'inverse chéri ! répond-elle mielleuse. La noirceur dans le cœur de certaines femmes est le résultat de mon œuvre : j'essaie de les modeler à notre image ! C'est dommage, je n'arrive pas toutes à les atteindre, mais je ne désespère pas d'y parvenir un jour ; répond-elle, se délectant de ses actes ignobles.

    - Tu m'en diras tant ! dit Génard avec Dédain. Mais à l'avenir j'exige que tu me parles de tes moindres faits et gestes ! l’avertit-il redoutable en la surplombant de toute sa carrure. Je déteste que qui que ce soit prennent des initiatives sans m'en demander la permission ! Pour cette fois ça passe ; dit-il agressif. D'autant que je vais me servir de la masse d’énergie accumulée depuis que tu as insufflé la jalousie pour lancer le sort décisif contre Héléna et Victor. Et quand tout ça sera fini, tu me feras le plaisir de me faire la liste de tous les égrégores, autres que celui-là, dont tu es l'instigatrice ! lui ordonne-t-il le regard menaçant.

    - Rien que ça ! Et pourquoi devrais-je te les partager ? demande-t-elle tout en le défiant les yeux plein d’éclairs.

    - N'oublies pas à qui tu t'adresses Laïssion ! Tu pourrais en découdre si tu ne te plies pas à ma volonté ! » répond-il hostile.

    Elle le regarde interrogative et voit dans ses yeux la confirmation de ses propos.

    « Du calme l’ami ! C'était juste une petite touche d'humour, répond-elle sur un ton enjoué, voyant qu’il serait dangereux pour elle de lui montrer ses réelles intentions. À priori même ça aussi tu y es réfractaire aujourd'hui ! » termine-t-elle sur le ton du badinage.

    Le laissant dans ses recherches de sortilèges, elle se volatilise sur cette dernière réplique et Génard ne peut lui dire un mot de plus. Il consulte son grimoire, agacé par l’impertinence de Laïssion, tout en se jurant de s'occuper de son cas dès que tout sera fini. Ses yeux se posent sur une série de formules qui met tous ses sens en alerte. L'onde qu'il avait ressentit auparavant se propage dans les moindres des particules qui constituent les cellules de son corps. Les coups de tonnerre, d’une violence inouïe, qui suivent, lui confirme que cette fois-ci, il est dans la bonne direction. Il ne traîne pas, craignant que le Grand-Tout le contre ; et prononce d'une voix forte et rauque les incantations ; puis observe depuis son repère ce qui se passe dans la grotte.

     

    *

    Victor gonfle le torse, ce qui lui donne une allure de géant ténébreux ; laissant l’impression qu’il va presque toucher le plafond et engloutir la fée. Les pupilles d’Héléna se dilate à cette vue, ressentant une sensation d’écrasement.

    « Il y a tout de même des choses qui me tarabustent. Pourquoi n'usez-vous pas de vos belles connaissances pour vous-même ? s’enquière-t-il avec suffisance tout en la regardant de haut. Il me semble que vous aussi, vous avez un ange sur votre épaule gauche et un démon sur celle de droite qui se disputent la première place. Sinon vous n'en seriez pas là ; affirme Victor dans un élan de toute puissance, une lueur démoniaque dans les yeux.

    - Je n'ai pas cette sensation Victor. Nous agissons avec sagesse ; réplique Héléna timidement, pleine d'incompréhensions en voyant le changement soudain d'attitude de son compagnon.

    - Alors pourquoi avoir besoin de moi ? Vous voyez-bien que vous n'êtes pas au-dessus de tout. D'autant que vous n'avez pas su m'aider. Ça montre bien que vous avez de sérieux problèmes à résoudre », réplique-t-il de plus en plus imbu de lui-même. Disant cela, il se grandit encore plus, encapuchonnant de toute sa puissance Héléna.

    «  Mais je ne me sens pas supérieure à quiconque ! » affirme la fée qui se sent prit en faute et sens les prémices de la culpabilité s’insinuer en elle. « Je sais juste que le Grand-Tout nous guide et notre union doit être très importante pour lui, répond-elle de plus en plus dérouté.

    - Peut-être qu'il nous a réuni pour que je vous enseigne et vous montre vos erreurs, analyse-t-il avec perversité avec un sourire ironique accroché à ses lèvres. Vous avez les bons mots en tête mais pour ce qui concerne leur mise en application, vous êtes zéro pointé. Vous êtes une jeune fée et vous devez avoir encore beaucoup de choses à apprendre, lui expose-t-il en la rabaissant encore plus. Le Grand-Tout doit vous envoyer tous ces messages pour vous et non pas pour les autres. »

    Victor appuie bien chaque mot, cherchant à bien anéantir la confiance d’Héléna. Son regard s'assombrit de plus en plus, ses sourcils se froncent et son nez palpite de cette toute puissance qui l'envahit.

    «  Sincèrement Victor nous avons la chance de par notre environnement de ne pas avoir de problèmes à régler avec nous-même, mais je veux bien en votre présence en référer au conseil des sages afin qu'ils nous aident et me disent si j'ai des choses à changer. » affirme-t-elle d’une voix chevrotante.

    Héléna ne comprend pas ce qui arrive, elle se sent comme une petite fille se faisant gronder. En plus, Victor a un comportement étrange, comme s'il voulait la dominer. Elle commence à perdre le contrôle d'elle-même et perd de sa belle assurance. Dans son cœur quelque chose se brise laissant fuir peu à peu la lumière qui s'y trouve.

    «  Vous semblez humble et savoir vous remettre en question. J'apprécie ces qualités. Je n'avais jamais vu quelqu'un en faire preuve à ce point. À voir si cela est une réalité ou si vous me jouez un jeu, dit-il de plus en plus suspicieux.

    Victor... » commence-t-elle suppliante.

    Il ne la laisse pas finir sa phrase, satisfait d'avoir pris quelques ascendances sur la fée et se penche vers elle pour lui déposer un baiser sur ses lèvres.

    « C'est bizarre, pourquoi ai-je ainsi envie de la dominer ? Me cacherait-elle quelque chose ? Elle doit-être jalouse de moi et je dois rester vigilant même si ce que je ressens pour elle est très fort. En fait le Grand-Tout a certainement besoin de moi pour la remettre sur le bon chemin. Les êtres magiques se plantent complètement et devraient écouter les paroles qu'ils diffusent et les mettre en application pour eux-mêmes au lieu de vouloir nous convertir. » pense-t-il l’esprit de plus en plus obscurcit par les envoûtements du démon.

     

    *

    Génard depuis son repère observe les agissements de Victor et écoute ses pensées. À force de fouiller dans les grimoires, il a trouvé un sort que Laïssion a inventé pour semer la jalousie dans le cœur des humains ; il s’en est servis pour glisser le doute dans celui de Victor. Le démon exulte car enfin les événements tournent à son avantage.

    « Le Grand-Tout n’a pas pris au sérieux ces quelques envoûtements créés par Laïssion et il a bien eu tord sur ce coup là », jubile-t-il intérieurement tout en observant la scène d’un œil glacial.

    Mais il ne crie pas victoire trop vite, d’autant que l’autre là haut lui a déjà joué pas mal de sales tours ; alors avant que de nouveau la situation se renverse ; il entre en contacts avec ses sbires qui se trouvent dans la grotte.

    « Il est temps de passer à la vitesse supérieure avant que le Grand-Tout trouve une parade et reprenne le contrôle de la situation », annonce-t-il au patolitote et à Laïssion qui attendent le feu vert pour mettre le reste du plan à exécution. « Action, dit-il d’un ton tranchant et on on se grouille. » termine-il impatient d’en finir avec ces histoires. La foudre qui tombe autour de lui sans discontinuer, confirme que c'est bien lui qui mène le jeu.

     

    *

    « Quoiqu'il y ait à faire pour nous harmoniser Victor, je suis prête à le faire. Ensemble nous pouvons aller très loin », exprime la fée naïvement.

    Malgré l'attitude de Victor, elle reste confiance ; persuadée que son changement d'attitude n'est du qu'à des réminiscences de sa vie en tant que démon.

    « Ce baiser ne fait que ne fait que confirmer mon ressentit, poursuit-elle timidement. Je veux le meilleur pour nous et je suis disposée à tout pour que nous soyons heureux ensemble », dit Héléna qui retrouve un souffle de foi et quelques couleurs sur ses joues qui étaient jusqu'à lors de plus en plus blêmes.

    - Si vous le dîtes, rétorque Victor comme s’il parlait à une moins que rien. Vous êtes touchante avec vos propos. Nous verrons lorsque nous serons devant le conseil des sages jusqu'à quel point vous voulez le meilleur, poursuit-il retors. À ce moment-là je pourrais peut-être vous donner toute ma confiance.

    - Vous doutez encore Victor, mais si vous avez besoin de cela pour être convaincu, je m'incline volontiers devant votre désir, déclare-t-elle pleine de candeur. Si nous devons œuvrer côte à côte, il est essentiel de mettre tous les atouts de notre côté ; dit Héléna avec gravité.

    - Je suis tout à fait d’accord. » répond-il une pointe de supériorité dans la voix.

    Comme pour sceller ces dernières paroles, Victor lève le menton d'Héléna pour l'embrasser de nouveau, quand quelque chose le fait vaciller.

    « Nooooon. »

    Héléna hurle à perdre haleine. Victor vient de s'effondrer devant elle.

    Les yeux rivés sur lui, qui reste inanimé par elle ne sait quel coup du sort, elle bafouille des mots inintelligibles. Le cœur déchiré, elle ne contient pas la tristesse qui l'envahit, ce qui a pour effet d’agrandir la brèche que Génard a ouverte dans son cœur. S'agenouillant devant Victor, elle le prend dans ses bras et lui parle comme s'il pouvait encore l'entendre.

    « Reviens. Je t'en supplie. Ne pars pas. Nous avons encore tant de choses à partager. » pleure-t-elle.

    Mais Victor reste sans vie. Toute la magie d'Héléna ne peut rien contre cela. Sous le poids de la souffrance son regard vacille, en même temps qu’entre insidieusement en elle la colère. Laïssion en profite pour pénétrer dans sa tête et lui insuffler le doute d'un ton suave et doucereux.

    « Regarde autour de toi. Il n'y a qu'une personne capable de te nuire par jalousie : ta sœur Capucine. Tu le sais au fond de toi. Elle a toujours voulu te supplanter. Il est temps pour toi de prendre la place qui te revient. »

    Héléna ensorcelée par la voix, jette un coup d'œil autour d'elle et aperçoit sa sœur qui combat non loin de là. Capucine semble bouleversée, mais Héléna ne fait pas ce constat, car sa vue est voilée ; et ses perceptions pervertis par Laïssion. Alors, elle ne perçoit que de la cupidité et l'envie dans l'attitude de sa sœur. Héléna se raidit, ses yeux se plissent, son visage est impassible ; tandis qu'à l'intérieur tout en scrutant sa sœur, bouillonne en elle des déferlantes de ressentiments, qui l'emportent en des terres inconnues.

    Capucine sait être la cause du désarroi d'Héléna, Elle a vu le sort qu’elle a jeté sur son adversaire ricocher sur une stalagmite, puis aller frapper en plein cœur l’homme avec qui Héléna parlait. Sur le coup elle n’y a pas prêté plus d’attention, ne sachant pas ce qui se tramait entre ces deux-là. C’est en entendant le désespoir de sa sœur qu'elle a réalisé l'impact qu'avait eu le détournement de son sortilège. Aussi, délaisse-t-elle son combat au risque de se faire tuer, pour rejoindre Héléna. D'un pas déterminé elle se dirige vers sa sœur pour la réconforter et lui demander pardon pour cet acte malencontreux. Mais Héléna ne veut rien entendre. Sa souffrance et le poison distillé par Laïssion l'aveuglent ; et elle a besoin d'un coupable. Elle regarde Capucine haineusement, les yeux meurtriers et lui hurle des mots injurieux.

    « Sale garce ! Tu as tué Victor ! lance-t-elle à Capucine, les trait déformés par la malveillance qui grossit en elle. Je ne veux plus jamais te voir. Tu n'es qu'un monstre », continue-t-elle d'un ton où le tourment fait rage.

    Sur le visage d'Héléna, les émotions se succèdent tour à tour ; affichant le désespoir, la tristesse, le pardon, la haine. Dans son subconscient émerge un soubresaut de lucidité qui lui dit que non, sa sœur ne peut avoir commit un tel crime. Elle se sent étouffé par les sanglots, naviguant entre deux eaux et ne sachant plus que penser.

    « Que m'arrive-til ? pense-t-elle complètement perturbée par son propre comportement.

    Capucine sent le dilemme qui anime sa sœur et tente de s'approcher d'elle pour le réconforter et lui parler, mais une force l'en empêche.

    « J'ai l'impression qu'Héléna est tellement au prise avec ses émotions qu'elle a créé un champ magnétique qui m'empêche d'être auprès d'elle ; pense Capucine. C'est bizarre, je ne lui connaissais pas cette force. Elle devait vraiment l'aimer et ce foutu sort l'a tué ! À cause de moi en plus ; c'est horrible ; se dit-elle la gorge serrée. Je dois absolument réussir à traverser ce bouclier, mais comment faire ? » s'interroge-t-elle troublé par ce qui se passe.

    Capucine regarde sa sœur pleine de compassion et tente de son mieux de lui faire comprendre que son geste n'était pas volontaire, que ce n'est pas Victor qu'elle visait. Elle veut lui dire qu'il était destiné à son adversaire et qu'elle ne sait vraiment pas comment il a pu ricocher ainsi.

    « Certainement à cause de ces saloperies de stalactites qui changent de place constamment ; » se dit Capucine tristement.

    Elle parvient à rencontrer le regard d'Héléna, qui semble perdue et se poser un nombres incalculable de question. Alors Capucine, avec amour, envoie des ondes positives vers sa sœur et les images de ce qui s'est vraiment passé.

    Héléna commence à comprendre et son expression se radoucit. Elle se demande comment elle a pu éprouver autant de rancœurs envers sa sœur. Elles qui ont toujours été si unies ; même dans les moments les plus terribles de leur vie, comme la mort de leur parent. Héléna sent la barrière invisible qu'elle a érigé fondre et s'apprête à rejoindre sa sœur ; quand tout à coup ses pupilles se dilatent, ses poils se dressent sur sa peau, son cœur cogne fort dans sa poitrine et son, regard se noircit.

     

    *

    Quand Génard a vu le revirement de situation il était à deux doigts de péter un câble. Héléna dotée du discernement et sans intervention divine, c'était plus qu'il ne pouvait en supporter ! Du reste, ça l'a tellement déstabilisé qu'il en est devenu hystérique et à réduit en cendre la bagatelle de sept ou huit patolitotes.

    Il était complètement pris au dépourvu et s'apprêtait à renoncer à son plan quand il a vu Laïssion intervenir avec finesse et utiliser la brèche du doute pour distiller une bonne dose de venin. Il en revient pas lui-même. Cette démone l'air de rien est pleine de ressources et il doit bien en convenir, si ça marche, il devront leur victoire à Laïssion. Très attentif Génard observe la suite des péripéties qui se déroulent dans la grotte avec grand intérêt.

     

    *

    Héléna vacille, elle a le tournis tandis que ses yeux horrifiés transperce sa sœur. Le choc, provoqué par ce regard, inonde Capucine qui est prise de nausées.

    « Que se passe-t-il ? se demande-t-elle. Nous étions à deux doigts de nous réconcilier », se dit-elle abasourdit.

    Laïssion restée dans la grotte après avoir commis son forfait, entre de nouveau insidieusement dans la tête d'Héléna. Mais cette fois ci avec perversité et sous les traits de Victor.

    « Héléna, ma chérie ; écoute-moi ! » invite sa voix dans la tête de la fée.

    Elle tend l'oreille, aux aguets. Victor est là, sûrement coincé car il n'a pas finit sa mission sur terre. La voix lui confirme cette prémonition, en lui disant qu'il était là pour rétablir la vérité.

    Héléna fonce les sourcils et demande au fantôme de Victor avec qui elle engage une conversation télépathique :

    « Mais quelle vérité ? Explique toi, l'implore-t-elle.

    - C'est Capucine qui m'a tué, affirme-t-il.

    - Mais que dis tu ? Elle vient de me montrer les images de ce qui s'est passé et son sort a ricoché sur une stalactite., dément-elle surprise que Victor veuille mettre sa mort sur le dos de sa sœur.

    - C'est ce qu'elle voudrait te faire croire mon amour. Mais ta sœur a vu que notre union nous rendrait invincible et nous permettrait de ramener la paix sur Terre ; et que de ce fait nous hériterions du trône ; dit-il d'une voix baignée de désespoir.

    - Ne dis pas de sottise. Capucine aurait été heureuse de nous voir ensemble, j'en suis sûre et elle est dépourvue de jalousie ; lui dit-elle estomaquée par les propos de Victor

    - Est-ce que tu me fais confiance Héléna ; interroge-t-il le ton anxieux.

    - Totalement, lui répond-elle sous le charme de l'homme qu'elle aime.

    - Alors regarde », lui dit-il en lui montrant ce qui s'est vraiment passé dans la grotte.

    Héléna voit le film se dérouler devant ses yeux, elle a le cœur au bord des lèvres et au fur et à mesure de sa vision, se distille en elle l'animosité envers sa sœur. Quand elle ouvre de nouveau la bouche, s'en est finit de son combat interne. Elle sait ce qui s'est réellement passé.

    «  Tu as vu que nous nous aimions alors tu as tué Victor ; vocifère-t-elle. Je ne pensais pas qu'un jour ma propre sœur voudrait prendre ma place ; dit Héléna en colère.

    - Mais non Héléna, ne dis pas d'idioties, c'est un accident ! la supplie Capucine attristée que sa sœur puisse penser cela. Je te l'ai montré, dit-elle la voix perchée par la stupéfaction.

    - Menteuse ! Tu n'es qu'une sale ordure, crache Héléna injurieuse. J'aurais dû me méfier de toi. Je peux t'assurer que tu me paieras ton acte au centuple. Je vais te détruire. Assassin ! continue-t-elle d’un ton effrayant.

    - Héléna, je t'en conjure. Tes propos sont totalement incohérents. Jamais je n'ai voulu te faire...implore Capucine atterrée.

    - TAIS TOI, » Héléna furieuse regarde sa sœur de haut, menaçante, ses yeux jettent des éclairs. « Et en plus tu me traite de demeurée. Tu veux me détruire totalement, c'est ça ? crie-t-elle sur la défensive sans même se rendre compte qu’elle reproduit à l’identique le comportement qu’avait eu quelques temps plus tôt Victor sur elle.

    - Héléna, je n'ai jamais dit ça. Je t'en supplie, écoute... demande Capucine brisée par les mots sa sœur.

    - Toi tu vas te taire une fois pour toute ! lui dit Héléna d'une voix dure. Sinon je te jure que tu ne vivras pas une seconde de plus. » la menace-t-elle complètement aveuglé par les images que fantôme de Victor lui a envoyé.

     

    *

    Génard observe la scène repu. Le silence, lourd et plombant qui a suivit l'intervention succulente de Laïssion lui prouve au centuple qu'il a gagné le combat contre le Grand-Tout. Il s'installe confortablement sur son fauteuil, prend la bouteille de Vodka qui se trouve sur le guéridon à côté de lui et se sert une triple rasade dans un verre à champagne. Il se marre intérieurement de cette subtilité que peu de personnes comprennent et regarde les deux sœurs se crêper le chignon au paroxysme de la jouissance.

     

    *

    Héléna hurle de plus en plus fort, pleine de rage envers sa sœur, et plus cette colère grandit plus son cœur se ferme.

    Sous ses propos accusateurs, Capucine ne peut retenir le flot de larmes qui ruisselle sur son visage. Partagée entre la culpabilité qui la gagne, le désespoir de voir sa sœur la renier ainsi, elle tombe à genou. Elle supplie Héléna de revenir à la raison et de lui pardonner.

    Mais Héléna est de plus en plus impitoyable et ne flanche pas. Elle l'abreuve encore plus d'insanités, le regard inflexible et noir de colère.

    Capucine est transpercée de douleur. Elle a la sensation que des pieux s’enfoncent profondément dans son âme, dans tout son être.

    Plus elle sombre dans la douleur, plus les propos d'Héléna sont monstrueux. Plus les propos d'Héléna sont horribles, plus Capucine sombre dans la souffrance, formant un cercle infernal qui se nourrit de lui-même.

    Héléna satisfaite, regarde le malaise s'enraciner dans le cœur de sa sœur et voit émerger dans son esprit le doute.

    Capucine totalement démunie ne peut détacher son regard de cette inconnue qui voit le jour devant elle. Elle flotte dans un état brumeux et des sensations étranges la gagnent. Elle-même ne se reconnaît déjà plus. Ses tentatives de démontrer à Héléna qu'il s'agit d'un accident sont vaines, elle ne veut plus rien entendre.

    « Tu as assassiné Victor, assène une fois de plus Héléna. Ne te cherches pas de fausses excuses. Je vais te faire regretter ce meurtre ! » prévient-elle furieuse. Puis dans un dernier ricanement cynique elle se détourne et part d’un pas vengeur vers la sortie.

    Capucine hagarde, regarde l'endroit où sa sœur a disparut complètement ébranlée par les calomnies que lui a proféré Héléna. Le teint blafard, elle s'adosse à une parois de la grotte et s’effondre en larme. Elle n'arrive pas à endiguer le flot de sanglots qui secoue tout son corps. Elle balaye des yeux les lieux et s’aperçoit de l'étrange silence qui l’entoure. Elle constate que curieusement les combats ont pris fin. En tout état de cause, elle sent que l’ombre a pris le dessus.

    Non loin d'elle un patolitote rit sous cape.

    « Pourquoi ce monstre reste-t-il dans les parages à me regarder ainsi, avec son rire patibulaire ? » se demande-t-elle désenchantée.

    Elle voit dans les yeux du patolitote une lueur machiavélique et réprime un mouvement de dégoût en le regardant. Elle n’aime pas ces êtres qui ressemblent à des céphalopodes ; avec leur corps visqueux, recouvert de pustules, dont leur épiderme suinte en permanence d'un liquide qui fait penser à de la bave d'escargot.

    Les patolitotes ne mesurent pas plus d’un mètre soixante. De forme humaine, ils n’en-ont que l'apparence, car de près ils sont vraiment hideux à voir. Deux énormes yeux globuleux jaillissent de leur tête, d'où partent de nombreuses tentacules. Leurs membres sont informes et il n'y a ni mains ni pieds à leurs extrémités, ce qui leur donne une démarche pataude ; de ce fait, quand ils tentent de marcher ils trébuchent tout le temps, alors ils ne se déplacent qu'en se téléportant.

    Un sourire enfantin se dessine sur les lèvres de Capucine, en se remémorant une scène où elle avait vu un patolitote se déplacer avec ses jambes. Il devait faire un immense effort de concentration pour avancer. On eut cru qu’il marchait sur la lave d’un volcan tout juste sorti de son cratère. Le patolitote en question avait pour mission d'introduire les troupes ennemies. Génard lui avait donné une forme plus humaine pour l'occasion. Il avait juste omis un détail de taille : quelle que soit leur apparence, les patolitotes ne peuvent pas marcher sans se trahir. Très vite confondu, il avait été renvoyé dans ses pénates en deux temps trois mouvements. À ce souvenir un rire franc illumine Capucine dissipant partiellement son mal-être.

    « Heureusement ces êtres ne supportent pas la lumière, ce qui les confinent au maximum dans les grottes. Je détesterais en voir tout le temps », pense-t-elle anéantit par les événements.

    Même la lueur d’une lampe horrifie les patolitotes, c'est entre autre pour cela que les fées ont parsemé les souterrains de lucioles magiques, afin de les évincer au maximum de cette bataille. Les patolitotes devaient faire preuve de ruse pour rester dans les coins sombres de la grotte afin de pouvoir participer à cette lutte entre les deux clans.

    « Ce qui du reste n’a pas été trop difficile pour eux tant les lieux sont immenses », songe Capucine. « Il suffit ! Je ferai bien de sonder l'esprit de ce patolitote au lieu de laisser encore mon esprit dériver ! » se ressaisit-elle.

    Joignant l'acte à la pensée Capucine ouvre ses perceptions pour entrer dans la mémoire de cet être répugnant, afin de lire ce qui le fait ainsi jubiler. Son visage, au fur et à mesure qu'elle voit les événements, devient livide, son corps glacial faisant se dresser tous ses poils, en même temps que la culpabilité qu'elle éprouve se dissipe quelque peu. Elle est soulagée par cette révélation, qui lui retire la responsabilité de la mort de Victor. En effet, elle a pu lire dans la mémoire du patolitote que c'est lui qui a dévié le sort de Capucine pour tuer Victor. Malgré tout, elle ne peut réprimer un haut le cœur à cette vision.

    « Cela ne solutionne pas pour autant le problème, à savoir comment dire à Héléna que nous avons toutes les deux été dupées ? » se dit-elle interloquée.

    En même temps qu'elle s'enfonce dans ses réflexions concernant les manigances de cet être infâme, elle reçoit d'autres images qui l'a terrasse sur place. Elle voit Laïssion entrain de prendre l'apparence du fantôme de Victor et transmettre à Héléna des images mensongères sur la façon dont ce sont déroulés les faits. Elle ne peut réprimer un haut le cœur et manque de peu de vomir. Le visage livide, elle observe le patolitote ; et sous son regard contrit, elle le voit disparaître emportant avec lui son rire lugubre. Même si elle est habituée à voir ces êtres se dématérialiser ainsi, Capucine ne peut réprimer un sursaut tant elle est bouleversée.

    « Quel fourbe ! Non seulement ces démons détournent le sort et me font porter la responsabilité aux yeux d’Héléna mais en plus ils se délectent de me le faire savoir. Ainsi donc ce combat était un guet-apens, dans l'unique but de me séparer de ma sœur, pense-t-elle horrifiée. Mais pourquoi me le faire savoir ? Comment les combattants de l’ombre ont-ils pu prévoir qu’Héléna tomberait amoureuse de Victor ? C'est certainement ce fameux Génard dont nos parents nous parlaient qui a tout manigancé ! » pense-t-elle la mort dans l'âme.

    Capucine dégoûtée repense à ce que disaient ses parents au sujet de ce grand mage noir :

    « Il peut lire dans l’avenir au travers des yeux des crapauds. Pour cela il en tue régulièrement et leur arrache les yeux dans lesquels il peut faire ses prédictions. Heureusement ses dons médiumniques s’arrêtent à voir dans les combats de sorte que nombre de nos actes restent secrets. Mais rappelez-vous tout de même, que pour ce qui concerne les combats, rien, absolument rien, ne peut lui être caché ; même vos plus profondes pensées, mêmes vos sentiments les plus intimes lui sont accessibles ! Nous savons aussi qu'il possède un grimoire magique, mais ne connaissons pas l'ampleur de son pouvoir. » avaient-ils expliqué à leur fille d'une voix tragique en les alertant sur les dangers de ce démon.

    Ce jour-là, ils leur avaient aussi montré une photo de Génard à elle et à sa sœur. Capucine qui s'attendait à voir un être immonde, avait été étonnée de voir à quel point il est très beau : brun, les yeux noisette, il mesure près d’un mètre quatre-vingt-dix. Il a un corps très athlétique additionné a une aura très charismatique et il fait fureur auprès de la gente féminine. Mais pour qui sait lire au-delà de son apparence angélique, transparaît toute sa laideur.

    « Cet être est tellement empli de noirceur, qu’il n’hésite pas à envoyer un des siens à la mort pour satisfaire à ses plans ! pense Capucine. Je me demande tout de même dans quel intérêt il a tenu à ce que je sache ce qui s'est réellement passé » ; s’interroge-t-elle la gorge serrée sans même s’apercevoir de l'incidence de cette révélation sur son moral.

    Malgré tout ce qu'elle vient de découvrir, le doute s'insinue en elle, laissant s'installer une dualité qu'elle n'a encore jamais éprouvé. Elle s'affaisse sur elle-même, complètement submergée par le sale coup que leur a joué Génard.

    Capucine rassemble tant bien que mal ses idées ; et la démarche fragile elle se décide à partir en quête de ses comparses afin de trouver une solution, pour tenter de remettre de l’ordre dans le désaccord d’avec se sœur. Quand elle les rejoint, elle ne peut que constater qu’ils sont tous décontenancés par la fin subite du combat. Alors, elle leur révèle tout ce qu'elle même vient d’apprendre. C'est dans la consternation et le brouhaha le plus total, que tous accueillent ses explications.

    Séance tenante, Xsanda décide d'une réunion extraordinaire, sans même prendre la peine de quitter le champ de bataille ; tant il a la conviction que leurs adversaires ne reviendront pas de si tôt.

    « Souvenez-vous de la prédiction d’Aurore, faite il y a de cela plusieurs centaines d’années ; commence-t-il mystérieusement en s'adressant aux siens.

    - Quelle prédiction ? Et qui est Aurore ? demande Capucine très inquiète.

    - Toi et Héléna n’étiez pas encore nées quand nous en avons parlé en conseil des sages et nous n'avons jamais pensé à vous le révéler ; dit Xsanda accablé. Cela a été une erreur de notre part. Nous aurions peut-être pu éviter cette fin tragique. Enfin rien ne sert de vivre dans les regrets ni de faire des suppositions. Vous parler d'Aurore, de sa vaticination n'aurait peut-être rien changé, poursuit-il avec résignation. Aurore était une humaine qui vivait dans la forêt de Brocéliande en France. Elle avait outre des pouvoirs de guérison exceptionnels, un don médiumnique fort développé. Je pense qu'il est grandement temps que tu en saches plus à son sujet. »

    Xsanda qui est le tuteur de Capucine et Héléna se sent écrasé par ce qui se passe. Lui qui mesure près d’un mètre quatre-vingt-dix se sent rapetisser sous le poids de la nouvelle. Malgré toutes ses précautions, il n'a pas pu éviter le drame qu'avait prédit Aurore.

    Xsanda, avec son physique, a beaucoup de succès auprès des femmes-fées et brise des cœurs à son corps défendant. Mais il n’a eu qu’un amour, la mère des jumelles, qu’il a toujours chéri en secret ; et jamais encore qui que ce soit n’a réveillé en lui de telles émotions. Malgré son poids assez conséquent, il avoisine les cent-deux kilos, il a beaucoup de prétendantes. Certainement que les fées craquent pour lui du fait du paradoxe qu’il incarne, avec sa stature immense et son visage de chérubin que lui donne son visage rond, ses yeux verts fins et étirés pourvus de longs cils noirs et ses cheveux dorés.

    Quand il reprend la parole, il donne l’impression d’avoir vieillit de près de dix ans tant son visage est marqué par les perspectives à venir.

     

    * Xsanda *

     

    Aurore était une grande prêtresse appréciée de tout le clan dans lequel elle vivait. Sa réputation dépassait les frontières de son pays. Même sa stature en imposait, elle mesurait près d'un mètre soixante-douze et pesait presque quatre-vingt kilos. Elle avait une ossature épaisse et pas une once de graisse. Noire de peau, elle était la première druide originaire d'Afrique, ce qui en faisait une excellente praticienne, car elle avait réussis à combiner ses savoirs ancestraux avec ceux de sa nouvelle appartenance. C'était une femme d'une douceur infinie qui consacrait sa vie au service des autres. On venait la voir de loin pour la consulter, demander des conseils avisés. Ses voyances tombaient toujours juste et ceux qui ricanaient et occultaient ses dires s'en mordaient régulièrement les doigts.

     

    C'est lors d’un conseil des druides, qui se tenait tous les trois mois à la pleine lune, qu'elle avait fait sa vaticination qui a traversé les siècles. Les participants venaient à peine de fermer le cercle et fini d'allumer le feu sacré, quand ; avant même que le maître de cérémonie annonce l’ouverture de l’assemblée ; elle s'était levée en brisant le cercle ; sous les protestations consternées des membres présents. Le regard vague, elle avait porté ses mains sur le cœur et s'était dirigée tout droit vers le foyer, dans lequel elle est entrée, provoquant des exclamations horrifiées de ses congénères. Là, elle s'est tenue debout au milieu des flammes, sans même être atteinte par elles et avait commencé à parler d’une voix tremblante d’émotion où transperçait une peine profonde.

    « Les sœurs seront séparées. Alors le ciel s’obscurcira pour la seconde fois. Seule la venue des cinq pourra les réunifier. Seule leur venue pourra ramener amour et paix sur Terre. » annonça-t-elle d’un ton funeste et rauque.

    En plus d'être subjugué par Aurore, qui se tenait là, au milieu des flammes, l'assemblée était à l’écoute de cette prophétie, comme hypnotisés. C'était surréaliste, jamais encore quelqu'un n'avait traversé le feu sans être brûlé ! Or, là, les flammes se contentaient de caresser la grande-prêtresse sans lui causer la moindre brûlure. Si jusqu'à lors on la respectait, aujourd'hui le message était clair : cette femme les surpassait tous et la vaticination devait être importante pour qu'elle se déroule dans de telles circonstances. Personne n'osait bouger de peur de rompre le charme et de voir Aurore brûler vive. Mais il fallait en savoir plus, alors le maître de cérémonie l'interrogea.

    « Aurore savez-vous de quelles sœurs il s'agit ? Nous devons en apprendre d'avantage ! demanda-t-il stupéfait par ce qui se passait devant ses yeux tout en se demandant s'il n'était pas l'objet d'hallucination.

    - Non ; la seule chose que je sais est qu'elles sont issues du monde magique. Par ailleurs, si les sœurs sont séparées, il faudra de nombreuses années avant que tout ne rentre dans l'ordre. Il est donc important de faire en sorte que les sœurs restent toujours unies ; avertit Aurore toujours en transe.

    - Et qui sont les cinq Aurore ? demanda le maître de cérémonie intrigué par ces propos tout en écarquillant les yeux de voir la prêtresse au milieu du feu comme si de rien n'était.

    - Ce sont des enfants humains qui arriveront aux heures les plus sombres. Mais rien ne sera gagné pour autant, car Génard mettra tout en son pouvoir pour empêcher leur venue. » lui répondit-elle d'une voix caverneuse.

    La conversation étrange dura ainsi pendant plusieurs minutes, puis Aurore leva les yeux au ciel, tendit ses mains vers lui dans une offrande muette et sortit des flammes dans un grand naturel. Elle s'ébroua, comme le ferait un animal qui sort de l'eau et sa voix se fit plus claire en même temps qu'elle reprenait ses esprit consciente de ce qui venait de se passer.

    « Nous devons faire en sorte que cette prophétie soit connue de par le monde. Si elle venait à se réaliser, la Terre connaîtra beaucoup de chaos avant que les cinq n’arrivent » ; dit-elle en état d'alerte, le teint rendu écarlate par les visions d'horreurs qu'elle avait perçues. « Nous devrons les protégés, sous peine que jamais la paix ne revienne. Il est essentiel de mettre un émissaire dans chaque contrée où naîtront les cinq afin de les préparer à combattre.

    - Aurore je vous laisse mener à bien cette mission ; lui répondit le maître de cérémonie anxieux. Exceptionnellement nous nous entretiendrons des autres sujets à la prochaine pleine lune. Nous devons en premier lieu régler cette affaire. », le maître de cérémonie s'inclina et clôtura aussitôt la réunion.

    C'est ainsi qu'au fil du temps, la prédiction d'Aurore fut véhiculée afin que le monde magique puisse agir de la meilleure façon qui soit, conclut Xsanda qui en relatant cette histoire a le regard vague et emplit de nostalgie.

     

    * Alanoa *

     

    Xsanda, qui règne sur les fées, en attendant qu’Héléna et Capucine entrent dans leur cinquantième année pour monter sur le trône, convient que cette prédiction est assez énigmatique quant à la venue des cinq, mais que pour ce qui est des sœurs, la réponse vient d’être donnée.

    « Nous devons au plus vite raisonner Héléna. Elle doit absolument savoir que tout cela n’est qu’un piège pour la séparer de sa sœur », dit Xsanda résolument en se redressant.

    - Mais j’ai tenté de lui parler et elle n’a rien voulu entendre. Pour elle je suis un assassin, intervient Capucine désespérée.

    - Je sais Capucine, Génard a bien réussit son coup et nous devons trouver rapidement une solution sinon la prédiction sera définitivement lancée, lui répond Xsanda d’un ton lasse. C'est pourquoi je pense qu'Axide est le mieux placé pour lui faire entendre la vérité, » continue-t-il une lueur d’espoir dans la voix dans en ce tournant vers Axide. « Qu'en pensez-vous, acceptez-vous de partir en éclaireur auprès d’Héléna ? demande Xsanda troublé.

    - J'espère être à la hauteur de cette mission, réplique Axide pas très à l’aise. Vous me confiez là une immense responsabilité. Pensez-vous réellement que je sois le mieux placé pour la remplir ? interroge-t-il circonspect.

    - Qui mieux qu’un ange peut faire rejaillir la lumière dans les cœurs ? répond Xsanda avec douceur. Axide vous êtes notre seule chance de faire basculer la situation avant qu’il ne soit trop tard, enchaîne-t-il sur un ton bon enfant. Et nous savons bien, vous comme moi, ainsi que tous les membres de cette assemblé, à quel point notre possibilité de changer les choses est mince. En aucun cas nous ne vous tiendrons rigueur si votre démarche échoue. Même si quelque part nous en connaissons déjà l'issue, tout doit être tenté. » dit-il sagement en posant sa main sur l'épaule de l'ange d'un geste amical.

    Axide du haut de ses deux-mètres-cinq s’incline devant Xsanda et l’assemblée. Même s’il est un ange, il n’est pas dupe pour autant ; il sait que pour faire des miracles il faut être deux, et cela semble mal engagé avec Héléna. Si le Grand-Tout n’a pas réussi à empêcher ce drame, il se demande comment lui pourra y parvenir.

    « Le Grand Patron a tout tenté j’imagine, pense Axide ; et s’il a envisagé d’envoyer une vision à Aurore, la grande prêtresse, c’était certainement pour le cas où le plan A ne fonctionnerai pas. Mais j’ai pas la connaissance d’une autre alternative que les cinq, se dit-il soucieux. À moins qu’il l’ai gardé sous silence pour ne pas alerter Génard ? Ça vaut le coup d’essayer, je suis sûr qu’il sera auprès de moi pendant que j’accomplirais ma mission » ; se dit-il tout à coup ragaillardit par cette hypothèse.

    Alors il se redresse et avec un sourire affable aux lèvres il s’adresse à l’assemblée :

    « J'espère pouvoir la raisonner. Je vais faire le maximum. » annonce-t-il modestement.

    Brun aux yeux bleus indigo Axide est entouré d’une belle aura lumineuse. Sa démarche est souple et gracieuse. Chacun de ses mouvements, à l'instar des plus grands chorégraphes, transporte dans l'univers de la danse. Tout son être irradie la paix et on se sent très vite en confiance auprès de lui.

    Avec un dernier regard sur l’assistance, emplie d'appréhension, il disparaît et par sa simple pensée il se retrouve instantanément à l'endroit même où il le souhaite.

    Axide est à peine parti que déjà Xsanda enchaîne avec détermination :

    « Il nous faut une solution de repli au cas où Axide ne parvient pas à faire fléchir Héléna. » tout en disant cela il se tourne vers Élote un elfe chargé de la communication dans le monde magique. « Élote occupe-toi d'envoyer des émissaires pour prévenir des derniers événements. Que chacun se prémunisse de toutes éventualités de retrait en attendant l’arrivée des cinq. »

    La voix de Xsanda est ferme et posée quand il donne ses directives. Il se sent investit d’une foi qu’il n’avait jamais encore éprouvé et se sent gonflé à bloc, prêt à affronter toutes les possibilités. Il dégage un tel charisme ; savant mélange de force, de douceur, de sagesse, de stratège ; que tout ceux qui discutaient dans tous les sens, commentant les événements à qui mieux mieux se taisent pour l’écouter. Même la tension qui était à son comble quelques secondes plus tôt tombe. Xsanda prend les commandes avec une telle résolution qu’il force le respect et communique sa confiance dans chacun des membres de l’assistance. Ils ont une grande chance avec eux, tout ce qui se passe ne sera pas connu de Génard dont les dons de voyances s’arrêtent sur les guerres. Or là, intuitivement Xsanda mène ses troupes vers la paix. Il sent qu’il est important pour le moment de ne pas chercher à lutter, mais de trouver le meilleur moyen d’enrayer la crise. L’heure est au replis et à la recherche d’une offensive qui mettra définitivement fin à la lutte entre les deux clans.

     

    *

    Tandis que le conseil a lieu à l’autre bout de la grotte, Laïssion revenue sur les lieux de son méfait, s'approche du corps de Victor et l’emmène à Génard. Le démon est aux anges ; paradoxe qui pourrait lui sembler insoutenable si ce n’était la réussite parfaite de ses manigances. Quand la démone arrive dans leur repère avec son colis, il a un sourire qui déchire et limite Laïssion se laisserait tenter par quelques galipettes plutôt que de s’occuper du plan tordu de Génard.

    « Tu crois qu’on a que ça à faire ? la questionne-t-il sarcastique, le regard sévère.

    - De quoi tu cause ? demande Laïssion innocemment.

    - Parce que tu pense que je n’ai pas vu ton regard lubrique ? persifle-t-il On a des chose plus importantes à s’occuper que de la bagatelle ! Continue-t-il dédaigneux.

    - Dis donc, tu ne dis pas toujours ça, alors ça va bien tes airs hautain MONSIEUR, répond-elle agacée et frustrée. Et puis on est pas à cinq minutes près et on peu s’octroyer quelques bons temps pour nous puisque ton plan a marché et que les fées sont enfin séparées ; poursuit-elle platement.

    - Eh non, tu te goure totalement ! Pour que la discorde soit complète il faut que Victor soit en vie et si on tarde on ne va pas pouvoir inverser les sorts ! dit-il énervé par l’impertinence de Laïssion.

    - Je ne vois pas en quoi ça va changer grand-chose puisqu'elle ne saura pas qu’il sera vivant ; commente-t-elle méprisante.

    - Toi qui fabrique des égrégores à tout va, tu n’es même pas foutu de savoir ça ! s’exclame-t-il sur un ton humiliant. Une femme trahit pas sa sœur et ayant perdu son homme est une chose ; mais imagine une femme trahi par sa sœur et détesté par son homme... dit-il avec délectation. Imagine le mal que ça va faire dans son petit cœur d’artichaut et comment on va pouvoir encore plus la démolir la petite Héléna ; poursuit-il suavement au bord de l’extase et les yeux dans le vide, complètement absorbé par la visualisation de ses propos.

    - Je ne vois toujours pas en quoi ça va changer puisqu'elle ne va pas savoir qu’il est vivant », répète-t-elle comme si elle s’adressait à un demeuré.

    La réaction de sa femme arrache Génard de sa contemplation et la regardant avec condescendance il lui répond sur un ton dédaigneux :

    « Tu es conne ou tu le fais exprès ? Je croyais avoir du soucis à me faire avec toi, mais finalement t’es trop crétine ! Que fais-tu des liens énergétiques ? Quand tu fais tes égrégores, tu accumules bien de l’énergie pour le rendre plus fort et qu’il se propage, non ? explique-t-il toujours aussi arrogant. Et bien c’est pareil pour nos ex-tourtereaux ! énonce-t-il triomphant. Héléna sentira dans son inconscient que son Victor est vivant et la déteste au plus haut point et ça servira encore plus notre cause. Nous préparons le terreau de la destruction », finit-il comme s’il dégustait un met exquis.

    Laïssion le sort une fois de plus de ses rêverie ne se raclant la gorge. Mais cette fois-ci, il lui en est reconnaissant même s’il se refuse à lui montrer.

    « Bon c’est pas le tout mais on s’y colle, dit Génard;avec entrain.

    Ainsi, avec Laïssion, ils annulent l'effet du sort de Capucine et ramène Victor à la vie. Ce dernier les regarde interloqué.

    « Que ce passe-t-il ? Qu'est-ce que je fais là ? demande Victor ahurit de se retrouver auprès de Génard.

    - Idiot ! Tu n'as donc pas vu qu'Héléna t'entortillait ? dit-il sur un ton condescendant. Elle t'a volé tes pouvoirs afin de prendre le contrôle de la Terre ! lui dit Génard avec une colère feinte. Heureusement Laïssion t'as retrouvé et ramené parmi nous. Tu as aussi de la chance que je puisse te donner d'autres pouvoirs ; commente le démon fermement.

    - C'est quoi ton charabia ? De quel pouvoir me parles-tu ? interroge Victor pas du tout convaincu par les propos du boss. Les seules capacités que j'ai, sont celles que tu m'as données et je ne vois pas ce qu'elle en ferait. Elle même détient déjà pas mal de dons. Et puis dans quel intérêt me ramener ? Tu n'es pas à un sbire près ; répond Victor sceptique.

    - Détrompe-toi. Elle n'était qu'une débutante, sa formation n'était pas finie, dément le démon rouge de rage. Les fées n'acquièrent la totalité de leur pouvoir que lors de leur cinquantième année. Elle t'a utilisé, car seule la cupidité la menait ; continue-t-il sur un ton convaincant.

    - J'ai plutôt eut l'impression qu'elle se pâmait totalement devant moi et en aucun cas je n'ai vu en elle une once de malveillance, se vante-il plein d’orgueil. La seule chose que je retiens c'est sa suffisance. Et tu n'as pas répondu à ma dernière question, dit-il suspicieux en dévisageant le démon.

    - Espèce de dadais ! Il y avait plus que cela dans son jeu et elle t'a bien dupé ; dit le démon piqué à vif. Tu as de la chance que je veille toujours sur chacun de mes hommes, sinon tu serais mort à l'heure qu'il est ; affirme-t-il puissamment. Quel serait l'étendue de mon pouvoir si vous étiez tous morts ? Voilà pourquoi je ramène ceux que je peux auprès de moi ; ajoute-il tout en fulminant. Laïssion montre lui ce qui s'est vraiment passé dans la grotte puisqu'il a du mal à croire en la duplicité de sa colombe. Il fera moins le malin après. » termine-t-il hautain.

    Génard se tourne vers la démone et lui glisse une petite fiole dans la main. Laïssion avale discrètement la décoction préparée à son intention, pour que ses souvenirs soient effacés et que d'autres viennent prendre leurs places. Puis elle se dirige vers Victor et l'invite à entrer dans son esprit. Sous le choc de ce qu'il voit, il devient livide : Héléna le transperçant avec un pieu de bois en plein cœur. Instinctivement il soulève son pull pour regarder à l'emplacement où la fée a frappé et il y découvre une cicatrice rouge violacée qu'il n'avait pas auparavant. La colère l'emplit totalement et un irrépressible désir de vengeance le submerge. Il regarde Laïssion et Génard, prêt à bondir hors de leur antre pour aller régler son compte à Héléna, quand le démon l'arrête.

    « Ne sois pas stupide. Voyons voir déjà ce que va faire la fée » ; lui dit Génard prévenant en tentant de se composer une expression qui se veut le plus cool possible. « Si elle va dans notre sens, nous pouvons nous servir d'elle. Je te promets qu'après je te laisserai personnellement le plaisir de la tuer ; dit-il en se délectant à l’avance de cette éventualité.

    - N'oublies jamais cette promesse Génard, car sinon, même si je dois mourir je te ferais la peau ; répond Victor menaçant.

    - Tu sais que tu n'y arriveras jamais, rétorque Génard complaisamment en prenant un air supérieur.

    - Méfies toi ! Tu ne sais pas jusqu'où peut aller la colère d'un homme ainsi bafoué. » le prévient-il féroce.

    Génard sait très bien qu'il joue avec le feu. Il sait que lorsque l'on pousse quelqu'un trop à bout, cela peut décupler ses capacités et lui donner des forces herculéennes, jusqu'à renverser le pouvoir en place. Il se demande s'il a bien fait de ramener Victor, s'il n'aurait pas mieux fait de le tuer, plutôt que de lancer cet enchantement qui donne tous les signes d'une mort apparente. D'autant que le Grand-Tout veille toujours au grain. La partie est serrée et il doit être prudent. Il est essentiel que Victor reste à sa botte, il doit être attentif à la façon de le manipuler pour le garder sous son joug. Il doit, pour contrer le Grand-Tout, mettre toutes les chances de leur côté et Victor peut être une arme redoutable, maintenant qu'il se croit trompé par Héléna.

    « T'inquiète, je me ferais un plaisir de te voir tuer Héléna ; dit-il d'un ton mièvre. Tu sais très bien que j'en éprouverais une joie immense, d'autant que tu as eu le coup de foudre pour elle ; continue-t-il jubilatoire. Ne crois pas que je sois devenu bon. J'aime juste ce qui est malsain et tuer la femme qu'on a follement aimée est malsain. Viens, allons trinquer à notre accord, dit-il en prenant Victor par les épaules. Tu sais que je n'ai qu'une parole ; termine-t-il sur un ton paternel.

    - Je n'oublie surtout pas que tu es le chef des démons et que tu es capable de tout. Mais si tu m'as ramené à la vie, c'est que tu dois vraiment avoir besoin de moi ; donc on peut dire que je peux te faire confiance » ; rétorque Victor encore un peu sur le défensive.

    Génard part d’un rire franc et tout en gardant le bras sur l’épaule de Victor il s’adresse à Laïssion :

    « Il me plaît ce petit ! Si j’avais su que pour le corrompre il fallait qu’il ait le cœur brisé, ça nous aurait évité bien des sortilèges ; dit-il en ricanant méchamment. Désolé si je pleure pas sur ton sort Victor, je suis un démon ; on se refait pas hein ? termine-t-il hilare.

    - Même si j’ai juste envie de te foutre mon poing sur la gueule ; répond-il plein de hargne au démon ; tes propos curieusement me rassurent sur tes intentions. »

    Victor se détend quelque peu, embobiné par les propos de son boss, malgré le ressentiment qu'il éprouve encore à son égard.

    Génard sourit intérieurement. « Ah ces humains, ils sont d’un compliqué », pense-t-il. Il se tourne vers sa démone et continue à jouer son rôle à la perfection :

    «  Laïssion sert nous un bon scotch, y'a rien de mieux pour se remettre d'une telle trahison ; ordonne Génard goguenard.

    - Glaçon Victor ou pas ? interroge-t-elle sur un ton monocorde restant totalement impassible face à lui.

    - Sans, merci Laïssion. » répond-il sèchement tant il a du mal à se remettre de s'être fait avoir de la sorte par Héléna.

    Poursuivant son plan, Laïssion sert les verres et verse la potion préparée par Génard qui est sensé leur assurer le dévouement total de Victor.


    2 commentaires
  • Bonjour chers lecteurs

    Ayant terminé la correction de mon livre et apporté de nombreuses modifications, je vous le partage de nouveau depuis le début.

    J'espère que le copié/collé fonctionne très bien et que de ce fait il ne manque pas de passage.

    Je vous souhaite bonne lecture.

    Je rappelle que cette oeuvre est protégée par des droits d'auteurs (illustrations comprises). Toutes reproductions, même partielle, est strictement interdite. Alors, si ce livre vous plaît, invitez plutôt vos amis à venir le lire sur ce blog.

     


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